Radio Grandpapier

N°5 : Wisut Ponnimit & MUD

Dans cette cinquième capsule de la rubrique "Ma vie en /", je dresserai le portrait de Wisut Ponnimit, un auteur thaïlandais à la fois important sur la scène locale et au Japon où il jouit d’une belle notoriété !

Avant d’entamer la présentation de Wisut Ponnimit, je tenais à rapidement mettre à jour quelques informations livrées dans les capsules précédentes.

Le mois passé, j’avais brièvement évoqué le nom de The Duang, le dessinateur le plus important au sein la nouvelle génération d’auteurs thaïlandais. Un reportage vient de lui être consacré et l’on peut y découvrir nombre de ses influences. Il passe notamment quelques minutes à parler de son admiration pour les œuvres de Nicolas de Crécy et Sylvain Chomet qu’il possède dans leur version originale française. Il évoque également l’influence de Dragon Ball et One Piece pour les mangas, du dessinateur mexicain Humberto Ramos pour les comics ou encore de La triste fin du petit enfant huître de Tim Burton pour l’illustration. On découvrira aussi des Blacksad, des Lucha Libre, les Watchmen et V pour Vendetta dans ses bibliothèques au contenu résolument éclectique.

Je vous avais également présenté la jeune auteure thaïlandaise Tuna Dunn dans la capsule du mois de mai. Elle y évoquait la parution d’un second album qui sera en effet publié dans les jours qui viennent. L’ouvrage s’intitule Missed et s’annonce des plus prometteurs avec sa superbe couverture où le visage d’une jeune femme est recomposé à partir de photos Polaroid. Sur le site de l’éditeur, on peut découvrir le premier chapitre de Missed dont la préface est signée par Prabda Yoon.

Prabda Yoon est l’un des jeunes écrivains thaïlandais les plus influents et est également le fondateur de la maison d’édition Typhoon Books. Avec l’aide de Palida Pimpakorn, Prabda Yoon lança cette structure en février 2005 afin d’y publier ses propres textes littéraires. Le premier ouvrage à paraître ne sera pourtant pas l’un de ses romans mais bien un recueil de bandes dessinées de son ami Wisut Ponnimit intitulée everybodyeverything. Il s’agit en réalité d’une traduction car ce titre avait été publié l’année précédente au Japon. Wisut Ponnimit, né en l’an 2519 du calendrier thaïlandais et donc âgé de 38 ans, avait en effet conquis le Pays du Soleil Levant avant d’être redécouvert dans son propre pays.

Wisut Ponnimit débuta sa carrière dans la bande dessinée à Bangkok en 1998 publiant des histoires courtes dans la revue Manga Katch puis dans le mensuel A Day. Cette série de récits, réunie sous le titre générique hesheit (littéralement « Il Elle Ça »), explore les rapports de couple et le fameux « ça », cette chose mystérieuse et fragile au cœur des relations amoureuses. Graphiquement, le style de Wisut Ponnimit est influencé par deux grandes figures de la bande dessinée japonaises. De Mitsuru Adachi, auteur des mangas Touch et Rough, il conservera une ligne dépouillée, ronde et légère à laquelle il adjoindra l’expressionnisme d’un Osamu Tezuka. Ses histoires empruntent également aux deux auteurs japonais, mêlant récits du quotidien et touches de fantastique ou de science-fiction aux accents rétro. Plus naïf dans son trait, plus poétique dans son écriture, Wisut Ponnimit aborde cependant son travail avec une approche résolument alternative et parfois expérimentale. Conscient de ses limites graphiques, il se laisse parfois aller au « bad drawing », jetant son trait sans plus y revenir, faisant naître de ces approximations un dessin vivant car accidenté. D’accidents, il sera d’ailleurs souvent question dans ses récits où hommes et femmes auront à se heurter s’ils veulent briser la distance instaurée par une société toujours plus froide et mécanisée.

Deux planches du récit "Love Elevator".

Dans Him Her That (chez Awai Books), seule traduction anglaise disponible de quelques travaux de Wisut Ponnimit, on pourra observer ce thème de la distance dans un très beau récit muet intitulé Love Elevator. Un adolescent dans un ascenseur échange un sourire avec une jeune fille de son âge qui emprunte l’ascenseur d’en face. Les portes se referment et l’ascenseur de l’adolescent monte de quelques étages. Le numéro des étages correspond en réalité à l’âge du jeune homme et voilà qu’il a 18 ans quand les portes se rouvrent au dix-huitième étage. Les portes de l’autre ascenseur s’ouvrent, l’adolescente est devenue une jeune femme, un nouveau sourire est échangé, les portes se referment. Le jeune homme prend conscience qu’il n’a pas d’argent. Du 18ième au 25ième étage, il fait des études, trouve du travail et apprend à jouer de la guitare. Quand il arrive au 25ième étage un bouquet de fleur à la main, les portes de l’ascenseur d’en face ne s’ouvrent pas. Une autre femme qui attendait dans le couloir entre dans l’ascenseur du jeune homme. Elle s’éprend de lui et ils se mettent en couple. Ils se marient au 30ième étage et ont un enfant au 32ième. Au 33ième étage, les portes de l’ascenseur d’en face s’ouvrent à nouveau. Comme lui, son amour de jeunesse s’est mariée et a eu un enfant. Ils s’échangent un long regard où l’on pourrait lire les regrets d’un acte manqué. Mais voilà qu’ils se sourient tendrement et se saluent. Le récit se termine sur cette unique phrase : "Tout ce que je souhaitais, c’était de revoir ton sourire car ce sourire fut tout notre amour". Il y a toujours chez Wisut Ponnimit ce besoin de revenir à des choses simples et essentielles que la pression sociale, la notion de conformisme ou le besoin de réussite semblent sans cesse corrompre.

Au bout de 5 ans d’une production prolifique, Wisut Ponnimit aura le sentiment de tourner en rond dans sa démarche créative. Il décide donc, en 2003, de poursuivre ses études au Japon afin d’y trouver l’inspiration. En moins d’un an, il parvient à se faire éditer et à connaître le succès grâce aux aventures d’une petite fille nommée Mamuang (« mamuang » signifiant « mangue » et évoquant la forme de sa coiffure). Son aspect naïf et mignon trouvera un vibrant écho auprès des amateurs nippons du « kawaï » qui formeront une armée de fans collectionnant assidûment tous les produits dérivés de la série. Wisut Ponnimit explique dans un entretien qu’il vendra l’un des ses dessins (en noir et blanc et au format A4) à un amateur japonais au prix de 50.000 bahts soit 1200 euros. Son succès lui ouvrira les portes de la revue japonaise Monthly Ikki, revue qui publia également Taiyō Matsumoto et où paraîtra sa série Blanco de 2007 à 2010. Affectueusement baptisé « Tam » ou « Tum Kun » au Japon, Wisut Ponnimit continuera d’être actif sur la scène thaïlandaise. Prabda Yoon, le fondateur des éditions Typhoon, lui proposera de lancer une revue de bandes dessinées qui bénéficierait de sa notoriété croissante. Lancée en 2008, MUD est une revue pointue, centrée sur la publication de bandes dessinées alternatives, mais proposant aussi des analyses (comme celle des Berlin de Jason Lutes), des nouvelles, des essais ou des articles de fond sur l’histoire du graphisme. Objet superbement maquetté, particulièrement soigné et donc coûteux à produire, la revue MUD s’arrêtera à son neuvième numéro en 2011 au grand dam de son lectorat fidèle mais hélas trop restreint.

Wisut Ponnimit poursuit depuis son activité d’auteur de bande dessinée en Thaïlande et au Japon. Il est régulièrement exposé dans des galeries nippones et travaille sur quelques campagnes publicitaires. Réalisateur de nombreux courts-métrages (dont l’adaptation du récit Love Elevator), il accompagne au piano leurs projections en public. En tant que musicien, il a aussi collaboré à divers projets comme l’album Baan de la Japonaise Ikuko Harada. Artiste aux multiples facettes, Wisut Ponnimit est un auteur qui est parvenu à trouver son équilibre entre mainstream et underground, entre le Pays du Sourire et celui du Soleil Levant.

Nicolas