Anders Nilsen

par also available in english

Pendant longtemps, on s'était demandé si Anders Nilsen arriverait au terme du récit que l'on découvrait dans Big Questions, au rythme lancinant des sorties annuelles. On avait pu se consoler un temps avec Des chiens, de l'eau, déambulation enigmatique dans un paysage désolé. Aujourd'hui, le magnus opus est terminé, et existe désormais sous la forme d'une épaisse brique publiée chez Drawn & Quarterly, et bientôt disponible en français à l'Association. Retour sur le projet d'une vie (ou presque).

Xavier Guilbert : C’est un peu étrange de commencer cet entretien avec toi. Généralement, parler du dernier livre est un bon point de départ — mais dans ton cas, ton dernier livre est aussi ton premier,  Big Questions.

Anders Nilsen : En effet.

Xavier Guilbert : Tu mentionnais qu’il t’avait fallu quinze ans pour terminer ce livre, dont douze ans à véritablement travailler dessus.

Anders Nilsen : Les premières séquences du livre ont quinze ans. Mais je n’ai commencé à le penser comme un véritable récit que vers 1999, en gros.

Xavier Guilbert : Et comment te sens-tu maintenant que tu as terminé, et que le livre est paru ?

Anders Nilsen : Vraiment bien. (rire) Je — c’est particulièrement agréable parce je pense, maintenant que cela forme un seul livre, les gens réalisent que c’est en fait une seule histoire. Alors qu’avant, quand les numéros paraissaient année après année, ils pensaient que ce n’était que des petites — des histoires courtes utilisant les mêmes personnages, ou bien des sortes de vignettes poétiques, ou … Et le fait qu’il ne s’agissait que d’une seule histoire était un peu perdu dans l’ensemble. Il semble que — même des personnes qui connaissaient ce boulot le redécouvrent comme s’il s’agissait d’un nouveau livre, en quelque sorte.

Xavier Guilbert : C’est quelque chose qui m’a surpris, parce que je l’ai lu presque d’une — disons, en deux sessions, parce que c’est plutôt un gros livre. Et c’est vraiment impressionnant combien le récit fonctionne. Il y a quelques moments, surtout au début, où l’on sent que tu es en train de rajouter des éléments, mais c’est dans l’exposition du livre. Et une fois que l’on dépasse cela, le livre trouve son rythme, et cela en dépit du fait que les derniers numéros étaient publiés sur un rythme quasiment annuel.

Anders Nilsen : Les deux derniers sont sortis, je crois, sont sortis à six mois d’intervalle, mais oui, en moyenne, c’était un numéro par an.

Xavier Guilbert : Comment as-tu réussi à garder cette cohérence ? Surtout lorsque l’on compare les premières et les dernières pages… les choses sont les mêmes.

Anders Nilsen : Oui… eh bien — je suis content que tu dises ça. (rire)

Xavier Guilbert : Bon, il y a quelques aspects qui sont plus détaillés, il y a plus de ces «séquences d’atmosphère» qui apparaissent vers la fin du livre. Au début, la narration s’appuie plus sur les dialogues et les échanges, et plus on progresse, plus il y a de pages muettes et de séquences qui établissent une ambiance.

Anders Nilsen : C’est très vrai. Il y a aussi — je pense qu’il m’a fallu quelques années pour décider ce que je voulais faire de ce livre, et … je veux dire, cela commence avec ces petits gags avec les oiseaux, dessinés de manière très très lâchée — écrits rapidement. Et ensuite, quand je décide d’en faire une histoire, je commence à m’appliquer beaucoup plus sur le dessin. Mais aussi, un ou deux ans après cela, j’ai senti que je voulais essayer d’y apporter aussi un peu plus de spontanéité. Ce qui fait que quand je regarde le dessin des numéros quatre et cinq, ils commencent à redevenir plus lâchés, à nouveau. Et puis, vers le septième numéro, j’ai plus ou moins — j’ai finalement décidé que «non, je n’ai pas vraiment envie de faire … de jolis dessins détaillés». Et donc, quand je regarde tout cela, je perçois vraiment cette ambivalence dans le choix de ce que je voulais faire. Et je vois aussi — la progression de mon apprentissage du dessin durant tout ce temps.

Xavier Guilbert : Y-a-t’il eu des moments où tu t’es dit — «et puis merde, je vais arrêter de bosser sur ce truc», ou as-tu toujours voulu arriver au bout du projet ?

Anders Nilsen : Oui, j’ai toujours voulu arriver à son terme. J’ai toujours eu — en fait, j’ai toujours eu d’autres projets en cours. Ce qui fait que je pouvais faire des pauses, et travailler sur — tu sais, Des chiens, de l’eau, les livres des Monologue, ce genre de trucs. Et parfois, je me demandais : «bon, et quand je vais revenir à Big Questions, est-ce que cela va être comme retrouver un ancien projet, ou est-ce que ces personnages m’intéresseront encore ?» Mais c’était toujours — c’était toujours gratifiant d’y revenir. Et j’étais toujours intéressé de savoir où ils en étaient. Comme par exemple, comment ils allaient affronter le prochain problème. Ce qui fait que je suis toujours resté pleinement impliqué.

Xavier Guilbert : Le fait que ce soit publié en épisode a-t-il été une manière de continuer à travailler dessus ?

Anders Nilsen : Oui, sans doute. Parce qu’il y avait ces sortes d’objectifs, tu vois. Finir un numéro, c’était comme réussir — comme si j’avais produit quelque chose, j’avais passé une nouvelle étape dans l’histoire, et cela me permettait de la mettre de côté pendant six mois pour travailler sur autre chose.

Xavier Guilbert : Je me souviens que Charles Burns disait la même chose pour Black Hole, et que le fait que ce soit publié l’encourageait à continuer à avancer.

Anders Nilsen : Oui, et c’est quelque chose qui va certainement changer maintenant, puisqu’il ne sera plus vraiment possible de publier de la bande dessinée en fascicules. Je veux dire, je pourrais auto-publier un roman graphique en fascicules, sur un rythme épisodique. Mais les éditeurs ne trouvent plus ce format intéressant aujourd’hui.

Xavier Guilbert : J’ai relu un entretien que tu avais accordé à Matthias Wivel du Comics Journal. Vous avez échangé vers 2002, et puis vers 2007, et chaque fois tu lui as dit que tu avais presque terminé le livre, et qu’il restait seulement quelque chose comme deux autres numéros pour conclure. (Anders rit) Et je crois qu’à ce moment-là, tu avais publié huit ou neuf numéros… alors, quelle était la part de l’improvisation dans ce projet ?

Anders Nilsen : J’ai toujours eu une idée globale de — de ce qui allait se passer dans l’histoire, et les différentes étapes par lesquelles je voulais faire passer le récit. Mais ensuite, sur le chemin de l’une à l’autre, il y avait souvent… tu sais, une petite digression, une intrigue secondaire, ou l’arrivée d’un nouveau personnage. Plusieurs personnages du livre, comme Rose par exemple, n’arrivent qu’aux alentours du huitième numéro.

Xavier Guilbert : Il y a aussi les chiens. D’ailleurs, comme ils évoquent Des chiens, de l’eau, je me demandais s’ils n’avaient pas fini par donner naissance à leur propre projet.

Anders Nilsen : Pas vraiment. Je pense que je voulais — je ne sais pas, pendant quelques numéros, l’histoire se déroule durant la nuit. On change pour une sorte de nuit tombante, et je voulais… les chiens, je pense, étaient une façon d’amener un peu de … danger et … une sorte d’élément fortuit qui serait inquiétant.

Xavier Guilbert : Ils ne sont présents que l’espace d’un numéro.

Anders Nilsen : Oui, ils arrivent et puis repartent. J’aime aussi l’idée de — c’est comme pour les chiens de Des chiens, de l’eau qui se révèlent être plutôt amicaux et deviennent des compagnons du personnage principal, et je voulais — je voulais en quelque sorte utiliser ces mêmes chiens, mais qu’ils soient sinistres ou effrayants.

Xavier Guilbert : Et y-a-t’il eu d’autres éléments importants qui sont arrivés un peu par surprise, quelque chose qui n’était pas prévu dans ton projet originel ?

Anders Nilsen : Hm… disons, oui, je ne sais pas, c’est assez difficile de répondre. D’une certaine manière, l’ensemble a été une surprise. Mais…

Xavier Guilbert : En lisant le livre, j’ai eu ce moment étrange — il y a tous ces personnages oiseaux, et seulement deux personnages humaines, l’idiot et le pilote. Et à un moment, les humains sont silencieux, alors que les oiseaux deviennent particulièrement bavards, dans une sorte d’inversion des rôles. Il y a aussi ce passage où le pilote s’apprête à se brosser les dents, et finalement décide de jeter la brosse à dents avec un geste qui exprime une forme de «à quoi bon ?» — d’une certaine manière, abandonnant la civilisation. Alors qu’au même moment, les oiseaux se confrontent à ces grandes questions de religion et d’organisation sociale. Il y a donc ces trajectoires opposées…

Anders Nilsen : Oui, chacun des personnages, les oiseaux ou le pilote, suivent leur propre trajectoire. Je ne sais pas, c’est amusant d’essayer de réfléchir à quelque chose qui aurait été une surprise, c’est un peu comme si… je veux dire, les auteurs en parlent souvent, mais c’est comme si le récit de chacun existe, et tu te contentes de le mettre sur le papier, et ce n’est pas surprenant parce que c’était déjà là, d’une certaine manière. Ce qui fait que même des choses que tu n’avais pas anticipé, que tu inventes ou que tu découvres au cours du récit, cela devient presque plus se rappeler que de découvrir quelque chose.

Xavier Guilbert : Je trouve intéressant la manière dont les différents personnages parmi les oiseaux finissent par exister. D’un point de vue visuel, ils sont très similaires. Ils ont seulement un nom, et du fait de l’ampleur du livre, on a le temps de s’habituer à eux et ils sont très différents. Il y a Betty, qui porte le deuil et qui ne veut plus manger et voudrait disparaître ; et puis les oiseaux qui ont une sorte de révélation et entrent en religion… d’où viennent ces personnalités ?

Anders Nilsen : C’est un peu venu comme ça. Sans doute la première occurrence de cela, c’est quand la bombe est lâchée, et il y a trois oiseaux en train de manger. Et comme ça, subitement, ils sont partagés. Et cet événement m’oblige à expliciter trois vues différentes, complètement différentes, de ce seul événement. Je ne sais pas trop, je pense qu’il y a quelque chose chez les oiseaux qui, à mon sens, les rendent — comme ils sont si banals, c’est presque plus facile de leur donner des personnalités particulières. Sans qu’ils soient prédéfinis dans la manière dont ils s’habillent ou leurs expressions faciales ou ce genre de particularités humaines. (une pause) Je ne sais pas. Je pense que c’était ce qui m’attirait chez les oiseaux, bien avant que j’aie une quelconque idée de ce que j’allais faire d’eux. C’était comme si j’avais une coquille parfaitement vide, tout prête à accueillir des personnalités différentes.

Xavier Guilbert : Quant au titre, Big Questions — était-ce une sorte de plaisanterie au début ?

Anders Nilsen : Oui. En fait, cela provient d’un des strips du premier numéro. Et donc oui, c’était un peu ironique. Tu sais, ces oiseaux ne comprennent pas vraiment ce dont ils parlent. Et je — je n’avais même pas pensé faire un second numéro, je ne l’avais pas vraiment prévu. Et quand je me suis retrouvé à travailler sur le troisième numéro, quand j’ai commencé à élargir l’histoire, ce titre ne m’intéressait vraiment plus. Mais je me sentais un peu coincé avec. C’est alors que j’ai commencé à rajouter ces sous-titres grandiloquents, ce qui m’amusait beaucoup, et c’est devenu un élément récurrent du livre. Mais à un moment, je pense qu’il y a quelque chose qui se produit quand un groupe ou un livre ou quoi que ce soit a un titre, et cela peut être un très mauvais titre — et je pense que «Big Questions» est vraiment un très mauvais titre. (rire) Mais parfois, si le livre lui-même est bon, ou si le groupe est vraiment excellent, il arrive que — le titre se retrouve chargé du contenu du livre. Il emprunte une impression du livre ou de la musique, et cela n’a plus d’importance que ce soit un bon titre ou un mauvais titre. Et donc, à un moment donné, je me suis retrouvé à me dire — voilà ce qu’est le livre, et il va devoir porter ce titre.

Xavier Guilbert : En même temps, lorsque l’on considère les thématiques qui sont présentes dans ce livre, ça colle. Il y a beaucoup de question sur la mort, les relations, la religion, l’au-delà, les souvenirs… il y a aussi plusieurs passages qui évoquent des mythes. Il y a une référence à Platon à un moment, il y a la séquence où Algernon descend dans l’Hadès avec la figure du Serpent — qui, au passage, est un personnage très énigmatique, qui se révèle être plutôt positif. Ce qui fait que ce titre, au final, colle bien au livre.

Anders Nilsen : Oui, j’espère seulement que — comme j’avais l’impression, au début, j’étais inquiet que les gens le prennent au premier degré. Qu’ils le voient comme : (pensif) «je suis vraiment en train d’essayer de comprendre et d’expliquer…» — cela fait très prétention, je crois. Potentiellement. Et j’espère que le gens le liront avec une part d’ironie.

Xavier Guilbert : Cela reste une histoire avec des oiseaux qui parlent. (Anders rit) Ce qui fait que l’ironie est présente dès la première page.

Anders Nilsen : C’est vrai. Donc c’est peut-être un titre qui fonctionne, même si — si j’avais eu plus de temps pour y réfléchir, ce n’est pas ce que j’aurais choisi au final.

Xavier Guilbert : En ce moment, tu fais une sorte de tournée pour ce livre. As-tu une impression d’accomplissement à ce sujet ? Ou s’agit-il simplement de promotion et des à-côtés habituels ?

Anders Nilsen : J’ai un peu l’impression — je veux dire, c’est quelque chose que j’ai un peu fait dans le passé, mais beaucoup plus court : cinq ou six villes. Drawn & Quarterly a, en général, fait le maximum pour rendre cela possible. Avec ce livre, j’avais l’impression que — j’ai passé douze ans sur ce truc, c’est probablement le plus gros livre que je ferai dans ma vie. Et aujourd’hui, cela me semble — tu sais, l’œuvre de ma vie, en quelque sorte. Et j’ai le sentiment qu’il me faut faire tout mon possible pour le mettre en avant et que les gens sachent qu’il existe. Et puis il y a aussi cet aspect de célébration. J’ai fait une grande fête à Chicago, en invitant pas mal de mes amis à venir. Je voulais vraiment, tu sais… c’était comme un moment important pour moi, je pense, dans ma carrière d’auteur. Donc je voudrais pousser…

Xavier Guilbert : Et aussi comme un poids enlevé de tes épaules ?

Anders Nilsen : Oui. En fait, cela faisait six ans ou presque que j’attendais ce moment. (rire) Alors…

Xavier Guilbert : Est-ce que c’est facile ? Je veux dire, il y a ce moment où tu es content d’avoir terminé ce projet. Mais que se passe-t’il après ? Est-ce que c’est facile de se tourner vers ça ? Ou y-a-t’il un moment d’hésitation ?

Anders Nilsen : Non, j’ai un certain nombre de projets qui sont prêts à partir, si l’on veut. (pause) Un livre de strips tirés de mes carnets, tu vois — des choses variées. Comme prêt à passer à autre chose. C’est ce qui a été agréable dans cette tournée — avant de venir ici à Pierre Feuille Ciseaux, je n’ai pas vraiment eu l’occasion de travailler. J’ai fini de revoir le livre en… avril, et je n’ai travaillé sur aucun livre depuis, en dehors de mes carnets. Ce qui fait que je me sens vraiment prêt à me remettre au travail.

Xavier Guilbert : Que penses-tu de cette résidence à Pierre-Feuille-Ciseaux ?

Anders Nilsen : C’est exceptionnel. Tant du point de vue des interactions artistiques avec tous, mais aussi du point de vue social. Et le seul fait d’avoir quelqu’un qui te nourrit tous les jours… (rire) Je pense que c’est vraiment exceptionnel, et je sais que c’est une quantité de travail incroyable pour June, mais j’espère qu’il y aura d’autres éditions et qu’il trouvera un moyen de rendre cela possible, parce que c’est génial et je pense que beaucoup de monde en profiterait. Et cela te sort complètement de tes habitudes de travail. Cela te force à essayer de nouvelles choses et à expérimenter, et c’est tellement important.

Xavier Guilbert : Un peu comme cette première résidence dont tu parles dans l’introduction ?

Anders Nilsen : Oui. Et puis avoir à réagir aux idées des autres et interagir. Quelque chose que les dessinateurs — en fait, aux Etats-Unis, les dessinateurs restent généralement dans leurs studios à faire leur truc.

Xavier Guilbert : Tu sais, je pense que c’est assez proche en Europe. C’est le retour que l’on a de tous les participants — L.L. de Mars disait que son monde s’était agrandi, parce qu’il pensait qu’il y avait beaucoup de gens à qui il n’avait rien à dire, et qu’il avait découvert qu’en fait il y avait beaucoup de sujets sur lesquels ils pouvaient partager, apprendre et pratiquer ensemble.

Anders Nilsen : Oui. Je prends vraiment mon pied ici.

Xavier Guilbert : C’était facile de travailler sur le volume relié de Big Questions ?

Anders Nilsen : Oh non, c’était très difficile…

Xavier Guilbert : Y-avait-il la tentation de redessiner des choses ? As-tu fait beaucoup de retouches ?

Anders Nilsen : Je pense que 90 % des pages ont subi quelques changements… la plupart du temps, des petites choses, comme rajouter un mot dans le texte, déplacer un oiseau de quelques millimètres, ce genre de choses. Mais seulement des petites choses comme ça. Dans quelques cas, j’ai rajouté une case, juste histoire de ralentir le rythme, ou bien d’avancer l’histoire. Il y a eu quelques — j’ai vraiment essayé de ne pas redessiner des choses, parce que… tu vois, il m’a fallu douze ans, et c’est le livre par lequel j’ai débuté la bande dessinée. Et inévitablement, il y a cette idée de progression, que je voulais préserver. Mais il y avait quelques endroits où… comme une intrigue qui, vers la fin, était devenue importante, ce dont je m’étais rendu compte en chemin, mais que je n’avais pas traité avec l’attention nécessaire, et donc j’ai redessiné — j’ai redessinée peut-être deux scènes, plutôt courtes, et puis des petits choses qui devaient être plus présentes vers le milieu, et … j’ai redessiné quelques pages, et puis ça s’est arrêté là. Mais c’est seulement que les petites choses s’additionnent, et c’est un livre de 600 pages, et donc si tu travailles sur 90 % de ces pages, cela finit par faire une grosse quantité de travail. (rire) C’était la première fois que je me suis trouvé à détester la bande dessinée. (rire)

Xavier Guilbert : Bien sûr, durant cette période, tu t’es retrouvé à avoir à relire le livre depuis le début. C’était quelque chose que tu avais faire auparavant, de relire les premiers numéros ?

Anders Nilsen : Non, jamais. Je n’ai jamais vraiment — je ne pense pas que je sois revenu en arrière ou que j’aie relu l’ensemble avant de l’avoir terminé. Et puis, durant ce travail de relecture, cela a dû arriver trois fois. Je l’ai lu en entier, trois fois, et puis je l’ai feuilleté quelques fois. C’était une sorte de révélation, en fait. J’ai vraiment — je pense que je m’attendais à le détester plus, et à penser que «oh mon Dieu c’est un vrai désastre». Et au final, je pense, mon impression était que le début était plutôt bon, que la fin était plutôt bien, mais que le milieu était assez raté. (pause) Mais d’une certaine manière, il allait me falloir vivre avec ça. (rire) Je veux dire, j’ai essayé de clarifier les choses et de le faire fonctionner au mieux, mais c’était dans une certaine mesure… j’ai pu penser que peut-être, je ne devrais pas sortir ce livre. Et puis, finalement…

Xavier Guilbert : Tu as évoqué les différents projets que tu as menés en parallèle avec Big Questions. En y réfléchissant, j’ai identifié trois styles différents : le style détaillé que l’on retrouve dans Big Questions, Des chiens, de l’eau et dans une certaine mesure dans Don’t go where I can’t follow ; il y a le style de bonshommes-bâton sur des photos ou des cartes, et puis le style lâché (sans que ce soit péjoratif) que l’on retrouve dans les Monologues. Est-ce qu’ils représentent trois axes de recherche pour toi ?

Anders Nilsen : Je pense que je me suis lancé dans les Monologues quand j’ai commencé à me mettre sérieusement à Big Questions et après avoir fait un break pour travailler sur Des chiens, de l’eau. De travailler dans ce style, et d’apprendre à faire de la bande dessinée dans ce style, j’avais arrêté de travailler sur mes carnets de croquis. C’était beaucoup de travail, qui demandait beaucoup de préparation. Et à un moment, j’ai ressenti le besoin d’un espace où je pourrais travailler plus librement et donner plus de place à l’improvisation, et c’est alors que j’ai commencé les Monologues. Ce qui fait que je les considère différemment, je pense que les Monologues sont en fait une manière de revenir à la manière dont Big Questions a débuté, avec les petits gags avec les oiseaux, mais en essayent de conserver ce niveau de rapidité et d’improvisation.

Xavier Guilbert : Ces livres sont-ils le résultat de petites sessions, ou sont-ils produits d’une traite sur une période continue ?

Anders Nilsen : En fait, ça se passe généralement sur quelques semaines, et puis je reviens dessus en rajoutant des scènes, mais en essayant de rester dans le mouvement, même pour ces nouvelles scènes. Le premier livre des Monologue est vraiment fait d’improvisation et d’un rien de folie, alors que pour le second, j’ai l’impression qu’il y a comme un récit qui commence à émerger…

Xavier Guilbert : Pour les deux, je trouve. Il y a des couches et des thèmes qui se recoupent…

Anders Nilsen : Oui, pour les deux, un peu. Mais j’ai l’impression que c’est inévitable avec cette méthode de travail, le fait de générer des idées, pour moi, finit toujours par évoluer vers le développement de personnages et l’émergence d’une narration générale. Ce que j’apprécie énormément, mais j’aime aussi avoir la possibilité d’introduire des éléments un peu fous et de voir ce qui se produit. Et avec mes travaux comme The End et ce que je fais dans mes carnets de croquis, je pense que c’est différent, avec un peu des aspects des deux, ensemble, ou à peu près…

Xavier Guilbert : Il y a un aspect plus systématique, je trouve. Du point de vue graphique, tu utilises des motifs qui évoquent des mandalas, ou de grands sephiroths, je ne sais pas quelles sont tes références, mais il y a certainement cette idée d’un plan global, d’une structure globale. Et j’ai l’impression que le style plus lâché que tu utilises pour les Monologues est cohérent avec l’approche presque décousue, faite de beaucoup d’échos dans les dialogues absurdes, qui reprennent des choses apparues plus tôt. Ils sont très différents en termes de structure.

Anders Nilsen : Oui, je ne sais pas trop, en fait — en ce moment, j’ai l’intention de faire un troisième Monologues, mais je me demande vraiment si je vais être capable de me remettre dans ce mode de travail, parce que j’ai l’impression que cela a évolué et que c’est devenu ce que je fais dans mes carnets de croquis maintenant. Je ne sais pas, j’imagine que je vais découvrir si c’est le cas. (rire)

Xavier Guilbert : Tu as une formation en arts plastiques, et c’est quelque chose qui transparaît beaucoup dans les pages publiées dans Mome. Des choses qui se voulaient — malines, au point de parfois tourner un peu trop à la boutade. Comme les pages sur la prise de courant, ou le mini-comic expliquant comment faire un mini-comic, dans un exercice auto-référent. C’est le genre de chose que l’on ne peut pas se permettre plusieurs fois…

Anders Nilsen : En fait, c’est — c’est… une sorte de version gag, mais c’est vraiment de là que, je pense, sont issus les Monologues, et comment en particulier Big Questions a débuté. C’était durant cette retraite d’artiste que j’ai faite durant ma dernière année à l’université, où l’on est allés dans les montages pendant deux semaines et que l’on faisait beaucoup d’exercices afin de produire des images, des idées, et l’un des exercices consistait à dessiner la même chose soixante fois, et l’on n’avait qu’une minute pour faire chacun des dessins. Et à peu près à la moitié de l’exercice, pour moi, c’est devenu une bande dessinée, et il y avait un petit groupe d’oiseaux avec un avion qui s’était écrasé et le pilote de cet avion. Et ce petit strip qui explique le processus, fait référence à cela. Et c’est un peu ce que j’ai essayé de faire avec les Monologues, essayer de sortir des choses avant que ton cerveau puisse te dire que ce n’est pas — convenable, tu vois ?

Xavier Guilbert : Est-ce que c’est une stratégie créative à laquelle tu as souvent recours ?

Anders Nilsen : Je ne l’utilise pas souvent, et je ne l’utilise pas dans une optique très structure — par exemple, je ne sors pas une montre pour me minuter pour chacun des dessins. (une pause) Enfin, je le fais parfois, très rarement. (rire) Je l’ai fait il y a tout juste un mois avec ma copine, mais c’était la première fois que je le faisais en six ans environs. Mais c’est plus cette idée que j’essaie d’incorporer, en particulier avec les Monologues. Et d’une manière légèrement différente, peut-être, dans mes carnets de croquis, où il s’agit plus d’essayer d’amener mon cerveau à créer quelque chose d’intéressant et de voir où cela me mène, sans trop planifier à l’avance.

Xavier Guilbert : Il y a quelque chose que j’ai remarqué dans les Monologues, mais également dans The Beast que tu as publié dans Mome, et peut-être même dans les premiers numéros de Big Questions — l’impression que les personnages sont seulement un prétexte pour le dialogue, que le dialogue est l’élément principal de la  narration, et que le dessin est seulement un support. Et puis, les choses évoluent, et parfois le dessin prend le dessus, comme je l’indiquais pour Big Questions.

Anders Nilsen : Je pense que c’est — c’est un aspect qui s’est développé et dont j’ai fini par prendre conscience. Adolescent ou étudiant, c’est un peu ton boulot — en tant qu’étudiant en arts — de réfléchir en permanence à «pourquoi fais-je les choses de cette manière ?» «Que devrais-je faire en tant qu’artiste ?» Qu’est-ce qui fait sens ? Qu’est-ce qui est essentiel ou ridicule ? Et peut-être que cela fait partie de ma personnalité de beaucoup réfléchir à ce que je suis en train de faire et pourquoi. Mais il y a comme une seconde voix derrière cette première qui dit «tu n’as absolument aucune idée de ce que tu es en train de faire.» (rire) Et c’est le point de départ le plus fondamental de Big Questions, il y a Lewis and Morris, les deux oiseaux qui sont dans un arbre et qui ont cette conversation très abstraite à propos de ce qu’ils viennent de lire, et il y a toute une série de questions philosophiques abstraites qui les intéressent mais qu’ils ne comprennent pas vraiment, et puis en fait ils ont simplement très faim. Mais ils présentent tout cela d’une certaine manière, puis Algernon arrive et tout cela lui est réellement arrivé dans la vie, pour de vrai. Et c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, la manière dont nous concevons le monde, opposée à la manière dont le monde est en réalité. Et le fait que l’on ne peut pas vraiment l’intégrer — comment le monde est vraiment. Mais on ne peut pas s’arrêter d’y penser, et on ne peut pas s’arrêter de vouloir essayer de comprendre.

Xavier Guilbert : Est-ce un moyen d’essayer d’arriver au processus cognitif ? Par l’utilisation de l’écriture automatique, par exemple.

Anders Nilsen : En effet. Mais je pense que le contraste — je suis très intéressé par le contraste entre la conception du monde via le langage, et le fait que le monde en vient souvent à montrer que l’on ne sait rien, que l’on ne peut même pas comprendre. Je ne sais pas. Et puis, utiliser beaucoup de passages silencieux est une manière de dire «vous pouvez voir ces choses se dérouler, mais que signifient-elles ?» Il n’y a pas vraiment de façon de — c’est important pour moi de raconter une grande partie du récit par les dessins, parce que la bande dessinée est un médium visuel, mais je m’attache à montrer des choses que je ne pourrais écrire ou expliquer. Cela ne peut vraiment écrire que sur le plan visuel. Peut-être que, si j’étais un poète, je pourrais, mais — je ne sais pas. (rire)

Xavier Guilbert : Par rapport à ce dont nous avons discuté jusqu’ici, il y a deux livres qui sont un peu à part : Don’t go where I can’t follow et The End, qui sont autobiographiques et occupent une place particulière dans ta bibliographie.

Anders Nilsen : Oui.

Xavier Guilbert : Envisages-tu de travailler à nouveau dans l’autobiographie — je veux dire, dans des circonstances différentes, bien sûr…

Anders Nilsen : (une pause) Oui, c’est difficile à dire. J’ai l’impression que — je veux dire, j’ai fait quelques trucs vaguement autobiographiques dans mes carnets de croquis récemment, et ça m’a plutôt plu. Je ne pense pas que — je n’ai pas de projet de faire un livre autobiographique. J’ai l’impression que pour ces deux livres, il y avait des raisons très particulières derrière leur existence. A cause des expériences qui étaient à leur origine. Donc je peux imaginer qu’à un certain moment dans ma vie, je me retrouve encouragé d’une manière similaire à cause d’un évènement ou d’une expérience particulière, à vouloir travailler sur ce sujet. Mais tu sais, en général en tant qu’artiste, cela ne m’intéresse pas d’essayer de raconter ma vie en bande dessinée. A moins que quelque chose d’intéressant ne se passe, et que j’essaie de traiter dans mes carnets, mais je ne m’attends pas à le traiter d’une manière plus formelle.

Xavier Guilbert : Tu mentionnais Chester Brown comme l’une des tes influences principales, et pourtant son travail est essentiellement autobiographique.

Anders Nilsen : Oui, il est — j’ai l’impression qu’il… I never liked you est, je pense, le meilleur exemple de bande dessinée autobiographique. Parce que c’est un peu mystérieux et ce n’est pas — cela ne donne pas l’impression d’être trop conscient de soi. Je pense que The Playboy est aussi excellent mais d’une manière différente, parce que justement c’est très conscient de soi. Je veux dire, il introduit un narrateur qui le représente et réinterprète sa propre enfance.

Xavier Guilbert : Il y a plus d’autocritique dans The Playboy. I never liked you a une narration plutôt subjective, alors que The Playboy donne plus dans le jugement. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’ils se déroulent tous les deux en même temps — ils traitent de la même période, mais avec des thématiques et des angles différents. L’un traite de la difficulté à exprimer de l’affection, en particulier dans le contact physique, alors que l’autre évoque la découverte de l’a pornographie. Ce qui donne une opposition intéressante entre les deux.

Anders Nilsen : Exactement.

Xavier Guilbert : C’est un peu la même chose, je trouve, avec Don’t go where I can’t follow et The End. Le premier parle de souvenir — je l’ai trouvé très respectueux, maintenant une distance, sans jamais donner dans le voyeurisme. Alors que The End est plus l’expression de ton deuil.

Anders Nilsen : En effet. oui, pour moi ils sont très, très différents. Je considère que Don’t go where I can’t follow est un livre à la mémoire de Cheryl, que j’avais vraiment fait spécifiquement pour les gens que nous connaissions. Ce que fait que pour moi, ce livre n’est pas un travail artistique — c’est plus un document, presque. Alors que je trouve que The End ne parle en fait pas du tout de Cheryl, c’est vraiment sur moi et mon vécu après sa mort, et il s’agit principalement d’un travail artistique, où j’essaie simplement de comprendre ce que je suis en train de vivre. A essayer de trouver un sens aux choses.

Xavier Guilbert : Sur ce livre à la mémoire de Cheryl — tu en as fait un livre parce que tu devais le donner à un grand nombre de personnes, au point où ce n’était pas possible de l’auto-publier d’un point de vue pratique. Mais pour The End, qu’est-ce qui t’a encouragé à le publier ?

Anders Nilsen : C’est une bonne question. Je veux dire, je faisais ça dans mes carnets de croquis. Tu sais, après une journée éprouvante, j’en dessinais quelque chose. En fait, il se trouve que j’avais un contrat qui faisait que je devais produire un livre. (rire) Et j’avais déjà choisi le titre de The End avant même d’avoir la moindre idée de ce sur quoi j’allais faire ce livre, c’était même avant que Cheryl ne tombe malade. Et tu sais, à un certain moment, j’ai eu l’impression que j’avais toutes ces pages dans mes carnets de croquis qui étaient plutôt intéressantes, qui pouvaient résonner avec la vie d’autres personnes, et dont j’étais plutôt satisfait. Avec du recul par rapport à ma propre vie, d’un point de vue artistique, j’appréciais ces pages que j’avais faites. Et c’est encore quelque chose qui est présent aujourd’hui pour moi, puisqu’avec ces deux livres — Don’t go where I can’t follow n’est plus disponible depuis quelques années, The End est, je crois, peut-être encore disponible ? Mais il y a une deuxième partie qui n’a jamais été publiée et…

Xavier Guilbert : J’ai lu quelque part que tu pensais que cela n’avait aucun intérêt de le publier.

Anders Nilsen : Oui, c’est probable que j’aie dit cela à un moment.

Xavier Guilbert : Tu as l’air d’avoir des doutes.

Anders Nilsen : En fait, j’ai discuté avec Drawn and Quarterly la possibilité de rééditer Don’t go where I can’t follow… pour plusieurs raisons, mais je — je pense que pour moi, il y a suffisamment de distance. Mais je pense que, ce que je voulais dire, pour ces deux travaux, en tant qu’artiste, de savoir qu’il y a quelque chose que j’ai fait et dont je sois fier d’un point de vue artistique, mais qui ne soit plus disponible, il y a cette étrange pression psychologique — comme si ça ne va pas, je veux que ce livre soit disponible, mais il faut que j’arrive à trouver un moyen de le présenter afin que les gens comprennent qu’il s’agit de quelque chose qui s’est passé il y a beaucoup de temps, que ce n’est pas moi aujourd’hui. Donc on verra, je suis toujours un peu partagé par rapport à la deuxième partie de The End, parce qu’il y a des passages du récit avec lesquels je ne suis pas… des choses que je ne veux pas révéler. J’ai une drôle de relation avec ce travail, dans le sens où — il n’y a pas vraiment de fin, le processus de deuil se tarit lentement. Finalement, on passe à autre chose et ce n’est plus — c’est un peu comme s’il y a une moitié d’histoire, mais la seconde moitié, je ne sais pas vraiment où elle s’arrête, ou comment le livre pourrait se conclure. Je n’ai pas encore réussi à savoir comment faire.

Xavier Guilbert : Ce qui tu disais à propose des titres est intéressant. J’ai l’impression que tu choisis un titre, et ensuite le travail qui va s’y rattacher finit par se trouver influencé par ce titre. Même pour les deux livres des Monologues, on y trouve de vagues connexions… tu as une formation en arts plastiques, et l’un des tournants du XXe siècle c’est l’affirmation de Duchamp que ce qui définit un artiste, c’est la décision que quelque chose est une œuvre d’art et le fait de lui décerner un titre. Ce qui nous amène aussi à la Genèse et au pouvoir des noms — le pouvoir kabbalistique de nommer les choses. Et le fait que tu choisisses un titre, puis que tu produises  le livre, et que ce travail se retrouve d’une certaine manière à la fois prisonnier mais aussi très influencé par ce titre…

Anders Nilsen : Oui, c’est un truc étrange. Je veux dire, il y a des cas — un peu comme pour Big Questions, où… C’est comme pour The End, où j’avais le titre et ensuite je me retrouve à vivre des choses qui correspondent au titre. Pour Big Questions, c’est ce que tu disais à propos d’Algernon explorant le sous-sol — je le vois comme une évocation du mythe d’Orphée.

Xavier Guilbert : Tout-à-fait. Il essaie de ramener son amie, et quand il se retourne, elle n’est plus là. Elle n’est pas transformée en pilier de sel ou en statue, mais on en est proche.

Anders Nilsen : Oui. Tu sais, ce récit est principalement une histoire de deuil. Mais je l’ai écrit avant même que Cheryl ne tombe malade. Ce récit faisait partie du livre, et puis elle est morte, et c’était la première chose sur laquelle j’ai travaillé — tu sais, six mois ou un an après son décès. Et c’est comme si — j’avais écrit tout ça, et puis je l’avais vécu, et je me retrouvais à le vivre et le décrire dans le livre. C’était étrange.

Xavier Guilbert : Ces éléments étaient déjà présents avant. Avant qu’Algernon n’aille dans l’Hadès, il y a Betty qui essaie de regrouper les ossements des oiseaux morts, et petit à petit on voit leur esprit disparaître, ils répètent des choses, ils oublient des choses… c’est déjà très présent. Sinon, as-tu déjà choisi le titre de ton prochain projet ? As-tu une liste de titres qui pourraient devenir des directions aussi générales qu’encombrantes ?

Anders Nilsen : Non, pas encore de titres. (rire) En fait, je dois trouver un titre pour ce livre basé sur les strips tirés de mes carnets de croquis, parce que Drawn and Quarterly a accepté de le faire et il va bientôt falloir l’annoncer au diffuseur. Donc je vais avoir à trouver quelque chose.

Xavier Guilbert : Pour revenir à ce que tu disais sur la différence entre la manière dont nous concevons le monde et ce qu’il est vraiment, je trouve intéressant de comparer ce que signifie le titre et ce qu’est vraiment le livre, et la manière donc les deux interagissent et finissent par s’influencer mutuellement.

Anders Nilsen : Oui, je veux dire, je considère vraiment les titres comme un autre petit élément du travail. Parce qu’ils sont — tu sais, les titres des Monologues n’ont pas vraiment de rapport avec le contenu. Mais c’est le titre du livre, et cela oblige en quelque sorte le lecteur à essayer de concilier ces choses qui ne vont pas forcément ensemble, et c’est quelque chose que je trouve toujours intéressant.

Xavier Guilbert : Ce qui nous ramène à Big Questions, encore — c’est une histoire qui commence avec des oiseaux, mais le fait que cela s’appelle «Big Questions» t’amène à s’interroger — où sont ces grandes questions ? Et lorsqu’elles finissent par apparaître dans le récit, on boucle la boucle. Un titre inoffensif, ça n’existe pas.

Anders Nilsen : C’est vrai.

[Entretien réalisé à Pierre Feuille Ciseaux #3, le 7 octobre 2011.]

Site officiel de Anders Nilsen
Entretien par en septembre 2012