Gaston Lagaffe "pourrait être un modèle à suivre au travail"

Gaston Lagaffe "pourrait être un modèle à suivre au travail"

© JACQUES COLLET - AFP

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Par RTBF

Le 28 février 1957, Gaston Lagaffe voyait le jour dans les pages du Journal de Spirou. Le personnage de Franquin venait de naître.

Le philosophe Pierre Ansay a signé il y a quelques années un petit livre qui a pour titre Gaston Lagaffe philosophe. Il répond aux questions de la RTBF.

Quand vous présentez Gaston Lagaffe, vous ne dites pas que c’est le roi de la gaffe ou un personnage paresseux, vous écrivez "Gaston Lagaffe philosophe et résistant". Mais pourquoi donc ?

"On peut dire d’abord que Gaston Lagaffe est ce qu’on appelle un personnage conceptuel, c’est quelqu’un qui va nous aider à penser notre monde, comment vivre dans des circonstances qui ne sont pas très positives, et gouverner sa vie, la créer de telle manière qu’elle soit épanouissante, comment vivre mieux dans un monde qui l’est moins. C’est un petit peu la leçon philosophique qu’il nous livre et l’œuvre de Franquin est tellement riche qu’il suffit de se baisser pour y ramasser des pépites philosophiques".

Mais pourquoi est-ce que Gaston Lagaffe est aussi un résistant ? Il résiste à quoi, à qui ?

"Oui, je pense que fondamentalement il résiste au fait que son désir est barré par l’entreprise qui l’emploie. Son entreprise veut le contraindre à travailler d’une manière répétitive, alors que lui il veut créer, en quelque sorte, poétiser son monde et il va le faire d’une manière soit détournée, soit franc de collier, de diverses manières. C’est une résistance qui n’est pas une résistance facile, c’est une résistance poétique, réactive, imaginative".

Gaston Lagaffe est un modèle à suivre, vous nous conseillez d’imiter son attitude au bureau par exemple aujourd’hui ?

"Je pense qu’on peut le faire de diverses manières, en analysant bien les rapports de force qu’on a. En se départissant éventuellement de la haine, face à quelqu’un qui veut nous imposer son désir alors que le nôtre n’est pas celui-là. C’est dans ce sens-là que j’ai dit que Gaston Lagaffe est un héros spinozien, la fameuse phrase de Spinoza : 'J’ai pris grand soin de ne pas tourner en dérision les actions des hommes, de ne pas les déplorer ni de les maudire, mais de les comprendre'. C’est un petit peu la base de ce que Gaston va faire, il sera rarement très très fâché par rapport à Monsieur Boulier, par rapport à Fantasio, par rapport aux autorités de Dupuis, et c’est parce que Dupuis est une entreprise à la fois rationnelle, qui doit faire des sous, et d’autre part c’est une entreprise créative. Gaston est environné de créatif et lui aussi aime créer sa vie, il aime aussi l’imaginer, en faire quelque chose de poétique".

Il y a selon vous des expérimentations existentielles derrière les gaffes et les gags de Gaston Lagaffe. Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple ?

"Par exemple, il va avoir de nombreuses relations avec les animaux. Les animaux vont jouer un rôle énorme dans la manière dont il poétise sa vie. Par exemple, il va construire des espèces d’aquariums tout à fait délirants, il va se servir de la mouette comme une espèce de téléphone alternatif, il va créer un fusil lance-carotte pour approvisionner des lapins, il va instaurer des zones de voisinage avec les animaux qui vont apporter de la poésie et nous rappeler que nous sommes aussi des animaux, nous sommes des grands singes et la sagesse consiste à négocier avec le chimpanzé qui sommeille en nous. Ça, c’est aussi très spinozien. Il ne s’agit pas comme les Français, comme les exécrables cartésiens de vouloir dompter et maîtriser cette couche animale qui est en nous. Il s’agit de négocier avec elle, de faire la paix avec cette dimension-là et ça c’est de l’animalisation, mais il y en a bien d’autres".

Vous avez cité à plusieurs reprises Spinoza, et le sous-titre de votre livre, c’est "Franquin, Deleuze et Spinoz"a. Franquin a clairement sa place aux côtés de ces deux grands monstres de la philosophie ?

"Oui, il a sa place effectivement parce que son personnage est un personnage éminemment philosophique. Ce qui est extraordinaire à un moment donné, c’est que les pratiques artistiques sont en quelque sorte bien plus fortes que les textes philosophiques, qui ont souvent le démérite d’être très peu compréhensibles, d’être secs, d’être abstraits. La philosophie telle qu’elle est vécue par Gaston, d’ailleurs beaucoup plus immédiatement compréhensible, est pleine de vie. C’est une philosophie de la vie, c’est une vie de la philosophie. Ça, c’est aussi très proche de Spinoza. C’est une union de la pensée et de la vie, ce n’est pas une philosophie théorique dans les nuages, c’est d’abord une philosophie pour tout le monde, elle est compréhensible, elle est empreinte de la vie, de la résistance, de la création".

Vous écrivez encore que Gaston est un lecteur de société, si nous avions eu l’occasion d’interviewer Gaston Lagaffe ce matin, du haut de ses 60 ans, il nous dirait quoi sur l’époque, il aurait lâché autre chose qu’un "m’enfin" ?

"Oui, on vient de parler dans la revue de presse de Donald Trump et une des seules fois où Gaston Lagaffe s’est rebellé, à savoir Franquin derrière lui, c’est quand il protestait contre le fait que le journal Spirou faisait des petites fiches qui décrivaient des avions de guerre, notamment l’avion Stuka de l’armée allemande dans les années 40. Je pense que Gaston était porteur déjà d’un certain nombre de revendications qui annonçaient mai 68 et qui annonçaient cette grande révolte anti-autorités. Gaston est un héros sans père, c’est un orphelin, c’est un Américain".

 

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