Sourire énigmatique, pommettes rebondies, moustache finement taillée et remontante, yeux plissés… Il n’aura fallu que quelques années au masque porté par les Anonymous pour devenir un objet familier des sociétés occidentales. Rappeler l’origine de cet attribut de camouflage n’est pas inutile, exactement dix ans après la sortie du film V pour Vendetta, du réalisateur australien James McTeigue, lui-même adapté de la bande dessinée éponyme créée par les Britanniques Alan Moore (scénario) et David Lloyd (dessin) entre 1982 et 1990 pour le compte de l’éditeur américain DC Comics.
Ce récit d’anticipation politique narre les agissements de V, un terroriste anarchiste animé de vengeance personnelle, dans un univers post-apocalyptique où règne un parti fasciste. Symbole de résistance individuelle face au totalitarisme, le personnage est lui-même inspiré d’une figure célèbre de l’histoire d’Angleterre, Guy Fawkes (1570-1606), qui planifia la « Conspiration des poudres » (1605) visant à restaurer un monarque catholique sur le trône. C’est à David Lloyd que l’on doit l’idée de cet emprunt historique. C’est également lui qui créa le désormais célèbre masque de V. Le dessinateur était présent fin février au salon Magic (Monaco Anime Game International Conference).
Vous attendiez-vous, au moment de sa création, à ce que le masque de V soit récupéré de la sorte ?
Absolument pas. Tout est parti du film et du « merchandising » qui l’a accompagné il y a dix ans : un masque a été mis en vente pour l’occasion, et des personnes ont commencé à se l’approprier afin de pouvoir protester de manière anonyme. C’était totalement inimaginable. Ce que nous avions prévu, en revanche, c’était l’importance de la place occupée par le masque dans notre récit.
Les Anonymous vous ont-ils demandé l’autorisation de l’utiliser ?
Non, et je ne vois pas pourquoi ils auraient dû le faire. Ce masque appartient à tout le monde, il est dans le domaine public : libre à chacun d’en faire ce qu’il veut. Il m’arrive de temps en temps d’être contacté par des artistes qui aimeraient l’utiliser dans des performances ou dans des films. Je leur réponds que je ne suis pas le propriétaire du copyright et les renvoie vers DC Comics.
L’exploitation du masque à des fins politiques vous convient-elle ?
V pour Vendetta est l’histoire d’une résistance contre l’oppression et la tyrannie. Partout où le masque a été employé jusque-là, ce le fut dans ce même but et dans ce même esprit. Pour moi, son utilisation est conforme au message véhiculé dans notre œuvre.
Comment êtes-vous arrivé à la création du personnage de V en tant que réincarnation de Guy Fawkes ?
Par accident. Quand nous avons imaginé ce personnage de résistant dans un univers de guérilla urbaine, il n’avait aucun aspect formel. On ne savait pas à quoi il ressemblerait physiquement et nous ne connaissions pas plus ses motivations profondes. J’ai alors dit à Alan Moore : « Pourquoi ne ressusciterions-nous pas Guy Fawkes ? » Celui-ci avait échoué dans son projet de complot. Pourquoi ne parvendrait-il à le mener à bien dans le monde actuel, en faisant sauter le Parlement dans un premier temps [son premier fait d’arme] ? C’était une idée un peu folle mais Alan a été accord.
Comment avez-vous conçu le personnage sur le plan graphique ?
En m’inspirant des costumes qui étaient portés à l’époque de Guy Fawkes. La ceinture, la cape, la chapeau, le couteau correspondent à cette période. On peut d’ailleurs se demander comment notre série a si bien marché aux Etats-Unis avec un personnage qui faisait autant référence à l’Histoire d’Angleterre… Le masque, en revanche, est une création pure qui m’a été inspirée par mon enfance. Quand j’étais gamin, la tradition voulait qu’on brûle des effigies de Guy Fawkes sur un bûcher chaque 5 novembre. Comme nous étions en été lorsque V pour Vendetta a été créé, j’ai dû replonger dans mes souvenirs…
Et vous l’avez fait sourire…
Oui car, dans ma mémoire, Guy Fawkes souriait. Ce sourire avait un double sens pour moi. D’un côté, il n’y a rien de plus effrayant que de voir quelqu’un vous tuer tout en souriant. De l’autre, un sourire est par définition une marque d’optimisme.
Quand V pour Vendetta a été créé, au début des années 1980, le terrorisme n’était pas aussi répandu qu’actuellement. Pourriez-vous raconter cette histoire de la même façon aujourd’hui ?
Il y avait quand même des attentats à cette époque, notamment en Irlande du Nord. Je vous rappelle également que le film a été réalisé après le 11-Septembre, ce qui ne l’a pas empêché de sortir en salles. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas écrire la même histoire aujourd’hui. Ce serait même encore plus pertinent de le faire au regard du contexte international. Le sujet du terrorisme doit être débattu plus que jamais. Pourquoi ces gars existent-ils ? Pourquoi y a-t-il eu le 11-Septembre ? Quand le film a été projeté pour la première fois dans un cinéma, à San Diego, la toute première question venant de la salle fut : « Mais pourquoi avoir fait un film sur des terroristes ? » Je me souviens avoir répondu que s’il y avait davantage de films consacrés à ce phénomène, nous le comprendrions sans doute mieux. Mon avis n’a pas changé.
Diriez-vous que V est un superhéros très européen – et même très britannique ?
Au départ, il est très influencé par les comics américains ; il y a du Batman en lui. Mais il est aussi très britannique, oui. Cette série a été créée à une époque où les auteurs de comics stagnaient aux Etats-Unis, dans le sillage de Frank Miller. DC Comics est alors venu au Royaume-Uni pour recruter de nouveaux auteurs qui pourraient apporter leur spécificité et leur excentricité. La bande dessinée britannique a cette possibilité que son équivalent américain a moins : puiser dans l’histoire de son pays et dans sa littérature pour écrire de nouvelles histoires.
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