Actuellement mise à l’honneur à Paris avec l’exposition Hergé au Grand Palais, la ligne claire vient de perdre l’un de ses meilleurs affidés. A la suite d’une remise en cause artistique radicale au début de sa carrière, Ted Benoît avait poussé très loin les limites de ce style graphique et narratif fondé sur la limpidité. Connu également pour avoir été le premier à reprendre la série Blake et Mortimer après la mort d’Edgar P. Jacobs, le dessinateur s’est éteint à Paris vendredi 30 septembre à l’âge de 69 ans.
Né le 25 juillet 1947 à Niort, Ted Benoît – de son vrai nom Thierry Benoît – a longtemps rêvé de cinéma, et de cinéma américain, avant de basculer dans la bande dessinée. Il fréquente d’abord les bancs de l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) à Paris, puis devient assistant réalisateur à la télévision. Dessinateur en parallèle, il voit ses premières histoires publiées dans Actuel, puis dans l’Echo des savanes, où Nikita Mandryka le prend sous son aile. Son tout premier album, Hôpital (Les Humanoïdes associés), s’avère un coup de maître : il obtient le prix du meilleur scénario au Festival d’Angoulême 1979.
Ray Banana, dandy macho
Grand amateur de Robert Crumb, Ted Benoît travaille alors dans un style graphique rappelant le mouvement underground américain. C’est la lecture d’un ouvrage du dessinateur néerlandais Joost Swarte – L’Art moderne (Les Humanoïdes associés, 1980) – dans lequel celui-ci pose les bases théoriques de la ligne claire chère à Hergé et Jacobs, qui va entraîner sa mue. Progressivement, Benoît va épurer son trait et revendiquer son appartenance à la ligne claire, comme le clamera le titre d’un recueil d’histoires courtes publié en 1981, Vers la ligne claire (Les Humanoïdes associés).
L’année suivante voit s’affirmer son personnage fétiche, Ray Banana, à travers l’album Berceuse électrique (Casterman), prépublié dans le magazine (A Suivre). Ce dandy macho aux faux airs de Clark Gable évolue dans un univers totalement artificiel dont le prétexte est de restituer l’ambiance des années 1950, ce qui n’empêche pas l’ajout d’une dose de surréalisme. Peu importe la nature de ses aventures (rocambolesques puisque s’y croisent des extraterrestres et une secte), l’essentiel, pour Benoît, est de dessiner des décapotables carrossées et des bâtiments Art déco, et de faire swinguer ses personnages dans des costards tirés à quatre épingles. La ligne claire – qu’il n’hésite pas à dézinguer à coups de trames et d’ombres portées – constitue tout à la fois un manifeste et un outil esthétique. Il devient alors l’une de ses figures de proue, aux côtés de Floc’h ou d’Yves Chaland.
Ray Banana poursuivra ses pérégrinations dans l’album suivant, Cité Lumière (Casterman, 1986), une histoire se déroulant dans le milieu de l’art contemporain, qui – suprême hommage – sera mis en couleurs quelques années plus tard par les studios Hergé. Ted Benoît abandonnera ensuite provisoirement le dessin pour offrir un scénario au dessinateur Pierre Nedjar, L’Homme de nulle part (Casterman, 1989), un récit dont le personnage principal n’est autre que la femme de ménage de Ray Banana, une dénommée Thelma Ritter, comme l’actrice américaine du même nom (1902-1969), spécialisée dans les seconds rôles.
Illustrateur méticuleux
Auteur discret jusque-là, mais précieux, car capable de rallier les lecteurs de BD franco-belge et de BD indépendante, Ted Benoît va changer de dimension en acceptant au milieu des années 1990 la proposition de Dargaud, qui a acquis les droits de Blake et Mortimer, de reprendre la célèbre série. Le scénariste belge à succès Jean Van Hamme lui écrira deux histoires : L’Affaire Francis Blake (1996), qui recevra le prix du public à Angoulême en 1997, et L’Etrange Rendez-vous (2001).
Illustrateur méticuleux, Ted Benoît a également beaucoup travaillé pour la presse et la publicité, et réalisé de nombreuses affiches et sérigraphies, qui continuent de faire le bonheur des collectionneurs et des galeristes.
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