C’est en produisant à l’audience une copie du contrat original, datant de 1942, entre Hergé et Casterman que, selon Elsje Jorritsma du quotidien hollandais NRC [1], la petite association hollandaise Hergé Genootschap, créée en 1999 et forte de 680 membres a créé la surprise.
Celle-ci publiait trois fois par an un organe de liaison gratuit, intitulé Duizend Bommen ("Mille bombes !", une des exclamations hollandaises du Capitaine Haddock), où elle reproduisait des vignettes de Tintin pour illustrer des articles sur l’œuvre d’Hergé ou sur l’actualité tintinesque. Jusqu’en 2009, les ayants droits d’Hergé laissèrent faire mais, à partir de cette date, la politique de Moulinsart se fit plus répressive et la frêle association reçut une mise en demeure de Moulinsart lui enjoignant de payer des droits sur ces usages, réclamant jusqu’à €35 000 par numéro et, comme il y en avait une trentaine, cela portait la facture à près d’un million d’euros...
En général, à ce stade, devant la puissance impressionnante de l’injonction, la plupart des justiciables concernés n’allaient pas jusqu’au procès et concluaient, la queue entre les jambes, une transaction avec la société de l’avenue Louise. Mais l’association dirigée par Jan Aarnout Boer ne se laissa pas intimider et décida d’aller jusqu’au tribunal. Et là, surprise ! L’avocate de l’association, Katelijn van Voorst, avança comme argument de défense que la demande de Moulinsart s’avérait infondée puisque la société de Fanny Rodwell ne disposait pas des droits éditoriaux de Tintin ! Et d’avancer à l’audience, obtenue on ne sait comment, la copie du contrat d’édition datant de 1942, entre Casterman et Hergé où ce dernier transférait à la société tournaisienne l’intégralité des droits éditoriaux du reporter à la houppe. La Cour d’appel de La Haye décida de suivre ces attendus.
Face à cette décision, Moulinsart, sollicité par NRC, se mure dans le silence, mais l’avocate de cette impertinente association décoche cependant une flèche empoisonnée supplémentaire : "Ce n’est pas seulement [une bonne nouvelle] pour l’association Hergé Genootschap, dit-elle, mais aussi pour quiconque aurait indûment payé à Moulinsart des droits sur des vignettes issues des albums de Tintin. Cet argent doit leur être rendu !" Mille bombes !
C’est une petite révolution. Premièrement, cela signifie que Moulinsart va devoir payer à Casterman les droits sur les usages qu’elle aurait elle-même faits dans ses propres ouvrages publiés sous son égide, mais aussi que désormais, c’est l’éditeur de Tintin qui va devoir gérer cette licence, ce qu’elle faisait du vivant d’Hergé. Cela va un peu compliquer les relations entre Moulinsart et Casterman qui avaient été parfois très tendues ces dernières années. C’est en tout cas une très bonne nouvelle pour Antoine Gallimard qui voit son actif, un peu plombé jusque là, subitement revalorisé !
Attention cependant à ceux qui voudraient utiliser gratuitement les vignettes de Tintin : leur usage n’est pas libre pour autant. Ces droits sont tout simplement transférés à Casterman, naguère aussi vétilleux qu’a pu l’être le manager anglais. C’est désormais à la filiale de Gallimard de jouer le mauvais rôle...
Reste la question du droit de citation de l’image, libre en Hollande, réprimée en France. Là encore, la décision du Tribunal de La Haye risque de compliquer plus encore les demandes abusives des ayants droits.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Extraits de Tintin : Le Crabe aux pinces d’or. Dessin de Hergé © Moulinsart ou Casterman, on ne sait plus trop.
Merci à David Steenhuyse de De Stripspeciaalzaak
[1] Kuifje en de boomerangproces, NRCWeekend, 6 juin 2015.
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