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Un tribunal hollandais dénie à Moulinsart la propriété des droits éditoriaux de Tintin

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 8 juin 2015                      Lien  
C'est un revers cinglant pour Moulinsart et son ineffable timonier Nick Rodwell. Alors qu'il attaquait une brave association de tintinophiles qui utilisait des images de Tintin pour son organe de liaison, un tribunal de La Haye a constaté que les droits éditoriaux de Tintin n'appartenaient pas à Moulinsart mais... à Casterman !

C’est en produisant à l’audience une copie du contrat original, datant de 1942, entre Hergé et Casterman que, selon Elsje Jorritsma du quotidien hollandais NRC [1], la petite association hollandaise Hergé Genootschap, créée en 1999 et forte de 680 membres a créé la surprise.

Celle-ci publiait trois fois par an un organe de liaison gratuit, intitulé Duizend Bommen ("Mille bombes !", une des exclamations hollandaises du Capitaine Haddock), où elle reproduisait des vignettes de Tintin pour illustrer des articles sur l’œuvre d’Hergé ou sur l’actualité tintinesque. Jusqu’en 2009, les ayants droits d’Hergé laissèrent faire mais, à partir de cette date, la politique de Moulinsart se fit plus répressive et la frêle association reçut une mise en demeure de Moulinsart lui enjoignant de payer des droits sur ces usages, réclamant jusqu’à €35 000 par numéro et, comme il y en avait une trentaine, cela portait la facture à près d’un million d’euros...

En général, à ce stade, devant la puissance impressionnante de l’injonction, la plupart des justiciables concernés n’allaient pas jusqu’au procès et concluaient, la queue entre les jambes, une transaction avec la société de l’avenue Louise. Mais l’association dirigée par Jan Aarnout Boer ne se laissa pas intimider et décida d’aller jusqu’au tribunal. Et là, surprise ! L’avocate de l’association, Katelijn van Voorst, avança comme argument de défense que la demande de Moulinsart s’avérait infondée puisque la société de Fanny Rodwell ne disposait pas des droits éditoriaux de Tintin ! Et d’avancer à l’audience, obtenue on ne sait comment, la copie du contrat d’édition datant de 1942, entre Casterman et Hergé où ce dernier transférait à la société tournaisienne l’intégralité des droits éditoriaux du reporter à la houppe. La Cour d’appel de La Haye décida de suivre ces attendus.

Face à cette décision, Moulinsart, sollicité par NRC, se mure dans le silence, mais l’avocate de cette impertinente association décoche cependant une flèche empoisonnée supplémentaire : "Ce n’est pas seulement [une bonne nouvelle] pour l’association Hergé Genootschap, dit-elle, mais aussi pour quiconque aurait indûment payé à Moulinsart des droits sur des vignettes issues des albums de Tintin. Cet argent doit leur être rendu !" Mille bombes !

C’est une petite révolution. Premièrement, cela signifie que Moulinsart va devoir payer à Casterman les droits sur les usages qu’elle aurait elle-même faits dans ses propres ouvrages publiés sous son égide, mais aussi que désormais, c’est l’éditeur de Tintin qui va devoir gérer cette licence, ce qu’elle faisait du vivant d’Hergé. Cela va un peu compliquer les relations entre Moulinsart et Casterman qui avaient été parfois très tendues ces dernières années. C’est en tout cas une très bonne nouvelle pour Antoine Gallimard qui voit son actif, un peu plombé jusque là, subitement revalorisé !

Attention cependant à ceux qui voudraient utiliser gratuitement les vignettes de Tintin : leur usage n’est pas libre pour autant. Ces droits sont tout simplement transférés à Casterman, naguère aussi vétilleux qu’a pu l’être le manager anglais. C’est désormais à la filiale de Gallimard de jouer le mauvais rôle...

Reste la question du droit de citation de l’image, libre en Hollande, réprimée en France. Là encore, la décision du Tribunal de La Haye risque de compliquer plus encore les demandes abusives des ayants droits.

Un tribunal hollandais dénie à Moulinsart la propriété des droits éditoriaux de Tintin
"Tintin et le procès-boomerang" titre le quotidien hollandais NRC.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Extraits de Tintin : Le Crabe aux pinces d’or. Dessin de Hergé © Moulinsart ou Casterman, on ne sait plus trop.

Merci à David Steenhuyse de De Stripspeciaalzaak

[1Kuifje en de boomerangproces, NRCWeekend, 6 juin 2015.

 
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20 Messages :
  • Tout arrive, en son temps.

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  • hum...sauf erreur ce n’est qu’un premier jugement , moulinsart va sans doute poursuivre en appel etc donc c’est peut etre un peu tot pour se réjouir
    de plus c’est vraiment tres étonnant , depuis le temps que moulinsart fait des proces que d’un seul coup ce contrat apparaisse...

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    • Répondu par David Steenhuyse le 8 juin 2015 à  10:54 :

      Sauf que c’était déjà en appel !

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  • AH !AH !AH !AH !AH ! C’est la meilleure de l’année !

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  • On suppose que Casterman va virer ses avocats pour faire appel à de vrais juristes capables de lire les contrats.

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  • Attendons de voir ...
    8 juin 2015 10:13, par Maingoval

    Petites discussions ce matin avec mes amis docteurs en droit de l’UCL. On n’a pas encore lu le jugement, mais trois choses sont à retenir.
    1. Le document dont il est question lie deux parties, sous seing privé, et a sans doute même une clause de confidentialité. Comment peut-on utiliser en justice un tel document brandi par un tiers ?
    2. Que sait-on des dispositions prises ensuite par Casterman et Moulinsart ? Qui dit que Casterman ne laisse pas Moulinsart agir en son nom et pour son compte ?
    3. Il ne faudrait pas croire que du coup on peut faire n’importe quoi avec ces dessins des albums : cela signifierait (conditionnel) juste que désormais, ce n’est pas à Moulinsart qu’il faut payer les droits de reproduction, mais à Casterman ...
    J’attends de voir la suite, car on peut parier qu’il y aura appel ...

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    • Répondu le 8 juin 2015 à  13:45 :

      On peut espérer que Casterman soit moins tatillon, obtus ou gourmand que ne l’était Moulinsart.

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    • Répondu le 8 juin 2015 à  15:31 :

      Il semble que c’était déjà un procès en appel, mais il peut y avoir cassation (ou l’équivalent néerlandais)

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  • A quel moment Casterman a-t-il arrêté de faire valoir ses droits au profit de Moulinsart ? C’est étrange, il doit pourtant y avoir un service juridique chez Casterman.

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  • arf arf arf voila de quoi commencer la semaine en beauté.... il y a eu assez de persécutons indignes par le passé, si les moules à gaufres doivent rembourser le tout, devront ils aussi remettre en marche les sites d’infos qu’ils ont contraints à la fermeture ????

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  • suite mais pas fin.... Pauvre Tintin, pauvre Hergé !!!!
    En tous cas, un tout grand bravo à nos amis hollandais pour leur courage et persévérance.
    Nick R. a en effet quelques soucis à se faire.

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  • Je crois que c’est moins simple que cela. Les contrats modernes font clairement la différence entre l’exploitation des ALBUMS et les autres exploitations (droits derivés, merchandising...). A l’epoque, cette distinction n’existait visiblement pas. Il faut donc voir dans quelle mesure un contrat d’epoque (aujourd’hui lacunaire aux yeux de la loi sur le droit d’auteur) est opposable. Mais on ne mélange plus depuis belle lurette toutes ces notions qui font aujourd,hui l’objet de règles bien distinctes. A itre de comparaison, du temps où Marsu Productions etait encore indépendant, c’était Dupuis qui possédait les droits sur les albums de Gaston et Marsu qui gérait tout ce qui sortait strictement des albums (revente d’images, etc.).

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    • Répondu le 8 juin 2015 à  22:21 :

      Casterman fermera-t-il les yeux sur les fanfictions de Tintin qui prolongeront l’univers Tintin et feront qu’il ne sombre pas dans l’oubli ?

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  • Tribunal hollandais, c’est bien l’or, mais pas noir :)
    8 juin 2015 17:59, par Claudio Ricignuolo

    Quelle aventure, vraiment ! À suivre. J’espère que cela ne nuira pas trop à l’héritage tintinesque dans son ensemble, sur le plan financier. Le Musée Hergé est-il lié à Moulinsart ? En tout cas, c’est inouï, renversant et formidable comme événement !

    En ce qui concerne l’extrait d’album, Il est bien tiré du Crabe au pinces d’or, et non pas de Tintin au pays de l’or noir. Petite erreur ;)

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  • Comme signalé sur BDGest, il s’agit de Tintin, certes, mais cette affaire est dès le départ révélatrice des "dérives" :

    vous dites en résumé : en France, le droit de citation n’existe pas :

    - or, le droit de citation d’une œuvre a presque toujours existé, et a été renforcé depuis quelques années, notamment dans les cadres artistiques, scolaires, universitaires ; brefs, "pédagogiques" ; A l’inverse, on aura vu les complications liées à la demande d’autorisation (par écrit) des ayants-droit.

    - En 2006/2008/2010/2011 et 2012, diverses affaires (Moulinsart contre Bob Garcia notamment, sans parler de ceci : http://www.actuabd.com/Un-proces-gagne-par-Moulinsart) ont toutes abouti au même constat : le droit de citation est possible et autorisé, y compris pour une parodie !

    - L’article 10 de la convention de Berne et la directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation du droit d’auteur autorisent au titre de l’exception de citation la reproduction de vignettes extraites de bandes dessinées d’un auteur dans le cadre d’un essai sur les sources d’inspiration de cet auteur afin de permettre leur comparaison à d’autres sources et illustrer la démonstration soutenue par l’essai ; qu’ils autorisent également l’utilisation du nom du héros de la bande dessinée (Tintin) dans le titre de l’essai pour permettre d’indiquer au lecteur l’objet d’étude de cet essai.
    (cf. http://www.legifrance.gouv.fr/affichJur ... &fastPos=1)

    - Pour faire simple, une case, un dessin, voire une planche ou une couverture sont reproductibles (avec accord de l’éditeur originel dans le cas de "grands noms"), y compris dans des productions payantes (livres, magazines, etc.) : Tintin est du reste reproduit sans souci ailleurs, par exemple dans La Revue des Amis de Jacobs.

    Comme avant 2000, on peut considérer aujourd’hui que le droit de citation s’applique aux travaux sur une œuvre ou un auteur (actualité, recherche, histoire, patrimoine), à condition minimale de mentionner le nom des auteurs, de l’éditeur, de l’ayant droit, ou le célèbre "D.R." quand on l’ignorait

    Au delà d’un certain nombre de visuels extraits d’une seule œuvre ou d’un seul univers, les versements de droits d’auteurs s’appliquent, selon des degrés/barèmes très divers.

    - Voir aussi ce qui est dit ici, sur l’usage "loyal" du droit de citation : http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article274

    Allons jusqu’au bout de cette illogique : votre article est lui-même illustré avec des extraits d’Hergé : sauf erreur, vous n’avez pas payé une fortune pour pouvoir le faire, ce alors qu’il s’agit pourtant d’un article à charge contre Moulinsart !

    Reste qu’effectivement, un contrat datant de 1942 peut-il légitimer une pratique de 2015 ?

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 juin 2015 à  15:21 :

      vous dites en résumé : en France, le droit de citation n’existe pas :

      - or, le droit de citation d’une œuvre a presque toujours existé, et a été renforcé depuis quelques années, notamment dans les cadres artistiques, scolaires, universitaires ; brefs, "pédagogiques" ; A l’inverse, on aura vu les complications liées à la demande d’autorisation (par écrit) des ayants-droit.

      J’aurais dû, préciser, et vous avez raison sur ce point, que le droit de citation existe, mais dans un cadre très restreint : celui de l’information.

      Exemple : Hergé meurt, Libération remplit ses pages de Tintin : rien à payer, l’événement justifie cet usage.

      Tous les autres usages que vous citez : artistiques, scolaires, universitaires... sont payants et nécessitent une autorisation préalable. Les éditeurs le savent bien.

      - En 2006/2008/2010/2011 et 2012, diverses affaires (Moulinsart contre Bob Garcia notamment, sans parler de ceci : http://www.actuabd.com/Un-proces-gagne-par-Moulinsart) ont toutes abouti au même constat : le droit de citation est possible et autorisé, y compris pour une parodie !

      Non, les décisions des tribunaux ont renforcé la notion de parodie, pas de citation.

      - L’article 10 de la convention de Berne et la directive du 22 mai 2001 sur l’harmonisation du droit d’auteur autorisent au titre de l’exception de citation la reproduction de vignettes extraites de bandes dessinées d’un auteur dans le cadre d’un essai sur les sources d’inspiration de cet auteur afin de permettre leur comparaison à d’autres sources et illustrer la démonstration soutenue par l’essai ; qu’ils autorisent également l’utilisation du nom du héros de la bande dessinée (Tintin) dans le titre de l’essai pour permettre d’indiquer au lecteur l’objet d’étude de cet essai.
      (cf. http://www.legifrance.gouv.fr/affichJur ... &fastPos=1)

      Votre lien est bancal.
      L’article 10 de la Convention de Berne est très elliptique, à charge aux pays membres d’en définir l’application :

      "Libre utilisation des œuvres dans certains cas : 1. Citations ; 2. Illustration de l’enseignement ; 3. Mention de la source et de l’auteur"

      La directive européenne en question mentionne un droit de citation très restrictif :

      "Les États membres devraient avoir la faculté de prévoir certaines exceptions et limitations dans certains cas tels que l’utilisation, à des fins d’enseignement ou de recherche scientifique, au bénéfice d’établissements publics tels que les bibliothèques et les archives, à des fins de compte rendu d’événements d’actualité, pour des citations, à l’usage des personnes handicapées, à des fins de sécurité publique et à des fins de procédures administratives ou judiciaires."

      Elle ajoute qu’il faut en dehors de ces cas payer "un droit équitable" : "

      "Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs oeuvres ou autres objets protégés. Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû. Le niveau de la compensation équitable doit prendre en compte le degré d’utilisation des mesures techniques de protection prévues à la présente directive. Certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement."

      Donc, votre droit de citation généralisé, tel que vous le concevez, n’existe pas.

      - Pour faire simple, une case, un dessin, voire une planche ou une couverture sont reproductibles (avec accord de l’éditeur originel dans le cas de "grands noms"), y compris dans des productions payantes (livres, magazines, etc.) : Tintin est du reste reproduit sans souci ailleurs, par exemple dans La Revue des Amis de Jacobs.

      C’est parce qu’on n’a pas envie de s’embêter mais si les images sont citées en dehors d’une actualité, vous êtes redevable. Je peux vous dire que quand Le Point ou L’Express utilise les images dans des hors-séries, elles sont dûment rémunérées et encadrées par un contrat.

      Comme avant 2000, on peut considérer aujourd’hui que le droit de citation s’applique aux travaux sur une œuvre ou un auteur (actualité, recherche, histoire, patrimoine), à condition minimale de mentionner le nom des auteurs, de l’éditeur, de l’ayant droit, ou le célèbre "D.R." quand on l’ignorait

      Je crois que vous vous trompez. Histoire, patrimoine, etc sont sujets à paiement. La citation est valable pour l’usage de la recherche (une thèse, par exemple), pas pour son édition.

      Au delà d’un certain nombre de visuels extraits d’une seule œuvre ou d’un seul univers, les versements de droits d’auteurs s’appliquent, selon des degrés/barèmes très divers.

      Il n’est pas question de nombre. Le droit est dû dès le premier visuel.

      Voir aussi ce qui est dit ici, sur l’usage "loyal" du droit de citation : http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article274

      L’article de Thierry Groensteen que vous mettez en lien est un plaidoyer, en aucun cas une référence juridique.

      Allons jusqu’au bout de cette illogique : votre article est lui-même illustré avec des extraits d’Hergé : sauf erreur, vous n’avez pas payé une fortune pour pouvoir le faire, ce alors qu’il s’agit pourtant d’un article à charge contre Moulinsart !

      1/ Notre article n’est pas à charge contre Moulinsart, vous avez mal lu ou peut-être confondu avec le forum que vous citez.

      2/ Nous avons reproduit des centaines d’images d’Hergé, effectivement, (nos hommages et nos remerciements à Madame Fanny Rodwell), TOUJOURS dans le cadre de l’actualité. On ne s’appelle pas ActuaBD pour rien ;)

      Reste qu’effectivement, un contrat datant de 1942 peut-il légitimer une pratique de 2015 ?

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      • Répondu le 9 juin 2015 à  23:41 :

        Reste qu’effectivement, un contrat datant de 1942 peut-il légitimer une pratique de 2015 ?

        Qui plus est, un contrat daté de mille cent quarante deux (1142) -comme l’a fait remarquer un fin lecteur.

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