Voici quatre ans que Gauthier Van Meerbeeck a pris officiellement la tête de la direction éditoriale au Lombard. Après avoir accompagné les projets déjà signés, il lui a fallu imprimer sa marque dans un marché hautement concurrentiel et chahuté.
Les idées, il n’en manque pas : Le Lombard passe à l’attaque en cette rentrée 2015 : un reboot de taille : Bob Morane, un catalogue de nouveautés mené par un tiers d’albums de "Troisième vague", le remplacement des diptyques par de denses one-shots de 74 pages, des romans graphiques en fait, des séries courtes mais publiées à un rythme plus accentué... En plus des séries-phares habituelles. Moins d’albums mais mieux accompagnés, telle est la stratégie du Lombard en cette fin 2015
Cet été, quatre épreuves de leurs publications de la rentrée ont été envoyées aux journalistes. La démarche, déjà en place chez d’autres éditeurs, est nouvelle pour l’éditeur bruxellois. La volonté d’accompagner est donc bien réelle...
La renaissance de Bob Morane
Le morceau de choix est bien évidemment Bob Morane. Nous vous avions déjà évoqué le reboot que Le Lombard se proposait de faire pour remettre en selle l’Aventurier : on retrouve le lieutenant Morane en 2024, âgé de 28 ans. Il fait partie d’un groupe de Casques bleus qui patrouillent en blindés dans un quartier résidentiel de la ville de Yoraba (Nigéria), en proie à des violences inter-ethniques. Pour empêcher une exécution à la machette, Morane transgresse les sacro-saints ordres de non-intervention (les Casques bleus ne peuvent intervenir militairement que s’ils sont attaqués), et sauve ainsi le docteur Kanem Ousman avec le concours d’un géant roux écossais que nos lecteurs connaissent bien : le sergent William -Bill- Ballantine...
Logiquement inculpé en cours martiale, Bill écope de six ans de prison, tandis que le procès de Bob est annulé... car le nouveau président du Nigéria n’est autre que Kanem Ousman, l’homme qu’ils ont sauvé, et ce dernier fait pression auprès de la France pour que Morane soit gracié. L’ex-lieutenant accepte de travailler avec le nouvel homme fort de l’Afrique pour sortir le pays de ses difficultés.
Car si le pays est très pauvre, il possède des mines de matières premières rares nécessaires à la production des supports des nouvelles technologies : Tentale, Coltan, Cuivre, Zinc... Celles utiles notamment à un nouveau système d’apprentissages par implantation mémorielle, tandis qu’intervient une secte islamiste : les soucis deu moment ne sont rien face au gros orage qui se prépare...
L’intérêt d’un reboot est de pouvoir reconfigurer le logiciel d’une série réputée qui l’ancre dans une problématique plus contemporaine, tout en séduisant les fans de la première heure. À cette aune, Bob Morane - Renaissance est une réussite ! Le démarrage va quelque peu déstabiliser l’ancien lecteur : le sémillant aventurier paraît beaucoup moins sûr de lui, il est lieutenant et plus commandant, etc. Mais on se laisse rapidement emporter par la tonicité d’un scénario dont la thématique s’inscrit dans l’actualité.
A l’écriture, on retrouve Luc Brunschwig et Aurélien Ducoudray. L’expérience du tandem permet de mettre en scène un récit particulièrement bien rythmé. Si certaines ficelles sont bien connues, l’histoire tient le lecteur en haleine, et progresse crescendo avec l’irruption d’une dimension fantastique et technologique que l’on n’attendait pas et qui, avec sa cité futuriste, propulse le récit dans la droite ligne des épisodes les plus fameux de la série et qui ont fait le bonheur de générations de lecteurs.
Outre Bob & Bill (encore séparés dans ce premier tome), on a le plaisir de retrouver d’autres grandes icônes de la série historique : Sophia Paramount, Miss Ylang-Ylang, Tania Orloff et son oncle machiavélique. L’ensemble est assez subtilement agencé pour que le nouveau lecteur ne soit pas déstabilisé, même si ces petits clins d’œil profitent surtout aux connaisseurs.
Soulignons la subtilité du lien entre le baroudeur polytechnicien (devenu ici ingénieur des mines) et l’attrait pour les terres rares, ressources au cœur des affrontements -bien réels, ceux-là- que nous connaissons aujourd’hui. Si Morane doit encore gagner en assurance et en maturité, ce sont précisément ces petites failles qui font tout l’intérêt de cet excellent nouveau départ prévu pour octobre.
Coup double pour Armand
La réussite de Bob Morane tient aussi (et surtout) à la qualité du dessin d’Armand. Nous vous avions déjà évoqué la progression fulgurante de ce jeune dessinateur qui a débuté dans la série Angor chez Soleil.
Une nouvelle étape est franchie avec Bob Morane : une grande maîtrise du cadrage, une mise en scène contemporaine mais qui ne devrait pas trop brusquer la génération précédente des lecteurs, des aplats noirs utilisés en pleine force tout en respectant l’équilibre de chaque planche, une pureté de la ligne enfin... Si la vitesse d’exécution se conjugue avec ces qualités, le Lombard tient peut-être là une martingale !
L’actualité d’Armand au Lombard ne s’arrête d’’ailleurs pas là. Elle permet de remarquer la différence de tempo entre la série Bob Morane et la suivante : elle s’explique précisément par la nécessité d’imprimer à Renaissance un rythme soutenu. Il en est tout autre avec l’album Sykes qui paraît dans la collection Signé.
Dans ce western tonique, bourré de références de l’elficologue Pierre Dubois, Armand réalise une superbe fresque du Far-West qui paraîtra quelques semaines après Bob Morane. Un one-shot de 75 pages qui raconte, avec un souffle d’un rare tonus, une chasse à l’homme qui emprunte autant à Melville qu’à Sergio Leone ou Clint Eastwood. L’impact graphique est tel qu’on en vient à espérer que le Lombard propose une version en noir et blanc afin que le lecteur prenne la pleine mesure du talent d’Armand. La sortie de cet album au mois de novembre claquera comme un coup de revolver dans les plaines de l’Ouest !
Signé persiste...
La collection Signé sera encore mise à l’honneur avec le premier tome des Jours Heureux, nouveau diptyque de Warnauts & Raives qui suit ses personnages des Temps Nouveaux et d’Après-Guerre, une suite de récits pétrie d’histoire qui émerge par ce biais des one-shots de cette collection. On retrouve donc les figures de ce qu’il faut bien appeler une série, cette fois en 1958. Entre l’Expo Universelle de Bruxelles, les actes terroristes liés à l’indépendance de l’Algérie, l’arrivée au pouvoir par De Gaulle et les poussées indépendantistes du Congo belge, nos héros et leurs enfants tentent de se frayer un chemin. À la fois délicate et interpellante, cette saga "familiale" ne laisse pas le lecteur insensible, mais demande néanmoins qu’on la débute dans l’ordre chronologique si l’on ne veut pas y perdre son latin....
La déferlante Troisième vague"
Outre Signé, Troisième Vague est la seule autre collection du Lombard qui a échappé à la (Tabula Rasa opérée il y a plusieurs années par le Lombard lors de la restructuration commerciale de ses collections. Et pour cause, ses titres tournent globalement très bien et offrent une dynamique complémentaires aux locomotives classiques du Lombard (Thorgal & Co) pour imprimer son rythme de croisière à la maison de Bruxelles.
En cette rentrée, pas moins de sept titres vont se suivre en huit semaines, soit près d’un tiers des nouveautés de la période : l’avant-dernier Capricorne, Hedge Fund T3, I.R.$. T16, Koralovski T2, Alpha T13, sans oublier une nouvelle série orchestrée par Frank Giroud : L’Avocat.
Mais intéressons nous au septième titre, Bagdad Inc., un thriller au cœur de la guerre irakienne, servi par deux auteurs à succès de Troisième Vague : Desberg (IR$, Miss Octobre, Sherman, etc.) et Thomas Legrain (Sisco). En dépit d’une couverture peu engageante, cet album qui sortira ce 11 septembre (cela ne s’invente pas) traite intelligemment et efficacement des suites des attentats des tours du World Trade Center, c’est à dire les raisons et les moyens de l’attaque des USA contre l’Irak : la fierté de sa superpuissance, le pétrole, la pression contre les Saoudiens, la réélection de Bush junior, mais aussi et surtout l’utilisation des milices privées composées de mercenaires coûtant le double des soldats réguliers aux contribuables américains.
Si les motivations de son tueur semblent parfois assez artificielles, on suit avec intérêt ce thriller et le duo d’enquêteurs qui doit débusquer un tueur en série parmi 250.000 mercenaires !
Stephen Desberg, grand connaisseur des États-Unis puisque son père en est originaire, s’emploie en particulier à dépeindre l’absurdité de cette guerre. Quant à lui, Legrain propose un graphisme réaliste ultra-efficace où l’on remarque quelquefois des erreurs de perspectives. Hélas, malgré les efforts du scénariste, l’héroïne paraît au bout de l’aventure, encore un peu trop lisse, en comparaison du héros-mercenaire désintéressé dont l’accroche, quant à lui,se fait aussi progressivement que durablement.
Comme pour le dense western Sykes dont nous venons de parler,. Badgad Inc. est donc le premier titre d’une sous-série destinée à redynamiser la collection et qui s’intitule : Troisième Vague / One-shot. Une fois de plus, avec ses 74 pages, cette approche confirme l’efficacité de ce format, d’autant qu’il est complémenté par un petit dossier de trois pages. Plus besoin de découper le récit en deux albums séparés avec une césure et un cliffhanger central, avec le risque que les lecteurs attendent la seconde partie du diptyque pour opérer l’achat effectif des deux tomes : le lecteur peut être assuré de connaître la fin, d’un coup d’un seul !
Le rythme du récit s’en ressent positivement, le tempo se rapproche de celui du cinéma. Moins soumis au découpage de présentation, Desberg s’affranchit de certains canevas et explore avec un plaisir communicatif de nouvelles voies narratives. En dépit de quelques (grosses) ficelles, Badgad Inc. inaugure avec brio Troisième Vague / One-shot, une collection qui devrait prendre du galon dans le marché actuel.
Un rythme enlevé
Pour clôturer ce programme de rentrée du Lombard, listons les séries qui se poursuivent : Golias T4, Cassio qui poursuit son épopée dans le tome 9, Isabellae qui continue à mêler les genres dans un second cycle (T4), sans oublier le tome 5 de Klaw (déjà !).
Concernant cette dernière série, on voit ici l’usage d’un autre levier mis en place par Gauthier Van Meerbeeck : "retenir" la publication des albums, afin d’opérer un lancement de série à une fréquence plus élevée, au rythme d’une nouveauté tous les six mois, voire tous les trois mois dans le cas du premier cycle de Klaw. Si ce système a déjà largement fait ses preuves dans le domaine franco-belge pour les séries multi-dessinateurs, c’est une arme à double-tranchant pour les auteurs qui proposent des séries traditionnelles : la cadence de sortie leur permet d’obtenir une grande visibilité sur le marché encombré, mais cela demande également de boucler un cycle de trois albums, sans que l’éditeur ne détienne tous les chiffres de vente du premier opus, information nécessaire pour poursuivre la série.
Dans cette zone d’incertitude, le dessinateur doit partager son temps entre la recherche d’un nouveau projet, au cas où la série s’arrêterait sur le premier cycle, et la finition du dernier volume en cours de la série avortée. Pas facile à gérer...
Nouvelles séries et chemins de traverse
Le Lombard propose également quelques nouveaux one-shots qui attirent l’attention, tels que cette biographie de cent vingt pages sur Muhammad Ali, un combat de quadras divorcées et "célibattantes" dans Flora et les étoiles filantes sans oublier le nouvel album de Clarke intitulé Réalités obliques, un auteur qui, rappelons-le, nous avait déjà conquis dans cette veine fantastico-réaliste.
Affrontant résolument cette période tourmentée de l’année, Le Lombard aligne tout de même trois nouvelles séries, histoire d’assurer l’avenir :
La Fille des cendres réalisée par Hélène V. dépeint une XIXe dans lequel des monstres marins ont investi nos mers et océans. Entre pirates, fantastique et aventures à rebondissements, le destin de cette jeune fille devrait proposer un récit diablement enlevé !
Les plus jeunes n’ont pas été oubliés ! Outre le T4 de L’Instit Latouche, le spin-off de L’Elève Ducobu, Le Lombard publie également le premier tome d’Ovalon, un récit qui mêle sport et Heroïc-Fantasy, et réalisé par Sylvain Dos Santos.
Enfin, Drones présente la nouvelle facette de la guerre moderne avec les aspects humains et inhumains qu’elle comporte. Scénarisé par l’efficace Sylvain Runberg et le très investi Louis qui avait déjà signé le trépidant Escobar chez le même éditeur, on attend beaucoup de cette nouveauté. Le dessinateur nous en avait d’ailleurs déjà fait une description flatteuse...!
L’aspect patrimonial est une autre facette que l’équipe Van Meerbeeck ne veut pas négliger. On attend en effet avec impatience la première intégrale de Simon du Fleuve dont le dossier introductif signé par le très renseigné Patrick Gaumer devrait nous en apprendre davantage sur l’auteur et sur la gestation de cette série qui a marqué les lecteurs du Journal de Tintin.
On ne passera pas à côté de la dernière intégrale de Rubine qui réunit les albums introuvables de la série, complémenté d’un double dossier consacré à Mythic, Walthéry et Di Sano, qui avaient commencé à travailler ensemble sur la sulfureuse détective bien avant que n’arrive Dragan de Lazare.
La série Que du bonheur ! de Frédéric Jannin & Catheline profitera aussi d’une intégrale, sous la forme de la parution conjointe des deux volumes ce 11 septembre. Elle est d’ailleurs maintenant sous-titrée "Petit traité des familles recomposées" : tout un programme !
L’aspect patrimonial se prolonge enfin avec la suite des rééditions des albums de François Boucq, ici les tomes 3 et 4 des Aventures de la Mort et Lao-Tseu.
Avec une petite vingtaine d’albums bien calibrés, le Lombard est bien armé pour affronter la rentrée.
(par Charles-Louis Detournay)
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En médaillon : Le directeur éditorial du Lombard Gauthier Van Merbeeck (Photo : CL Detournay)
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