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La renaissance de Corto Maltese, une aventure mouvementée

Vingt ans après la mort d’Hugo Pratt, son créateur, le marin repart courir le monde avec Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero.

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Publié le 21 septembre 2015 à 10h53, modifié le 30 septembre 2015 à 17h17

Temps de Lecture 5 min.

Un de plus, et pas des moindres, se réjouiront les nostalgiques de l’âge d’or de la BD. Après Astérix, Blake & Mortimer, Lucky Luke et quantité d’autres, c’est donc le tour de Corto Maltese de poursuivre ses exploits sous une signature différente de celle de son créateur – en l’occurrence Hugo Pratt, mort il y a vingt ans. Sans doute fallait-il cette longue période de deuil avant de confier à d’autres un personnage aussi iconique que le marin romantique. Le résultat s’appelle Sous le soleil de minuit et paraît le 30 septembre. Réalisé par le duo espagnol Juan Diaz Canales (scénario) et Ruben Pellejero (dessin), ce 13e épisode de la série est, aussi, le fruit d’une aventure digne de Corto : mouvementée.

Les premières démarches en vue de son retour remontent à 2012. A l’occasion du festival de Lucques (Italie), un dîner rassemble Patricia Zanotti, l’ancienne coloriste de Pratt devenue son ayant droit, Simone Romani, l’éditeur italien de Corto Maltese, et le frère de celui-ci. Si ce dernier ne travaille pas dans l’édition (mais dans l’industrie pharmaceutique), il connaît suffisamment l’œuvre de Pratt pour suggérer l’amorce d’une nouvelle histoire : un pur récit d’aventures qui se déroulerait dans le Grand Nord en 1915, en continuité avec la Ballade de la mer salée (Casterman, 1975), album culte s’il en est.

Signe de l’aura de Corto, un projet « parallèle » a été lancé à Paris par Casterman, qui possède la quasi-totalité des droits mondiaux de la série. Sans savoir ce qui se trame de l’autre côté des Alpes (et bientôt des Pyrénées), le nouveau directeur éditorial BD, Benoît Mouchart, a demandé à deux auteurs phares de la création française, Joann Sfar et Christophe Blain, d’imaginer une reprise de Corto. Ils réaliseront deux planches d’essai dans le plus grand secret… mais pour du beurre. Patricia Zanotti mettra en effet son veto, ayant elle-même commencé sa recherche d’un repreneur.

Refus de Manara

Son premier choix s’était porté sur Milo Manara, grand ami de Pratt et maître de la BD érotique (Giuseppe Bergman, Le Déclic…). Las, ce dernier a refusé, n’étant pas convaincu que Pratt ait voulu que son personnage lui survive. « La dernière fois que je l’ai vu, quelques jours avant sa mort, il m’a parlé de beaucoup de choses, mais pas de Corto Maltese. S’il avait voulu qu’il soit poursuivi, je pense qu’il me l’aurait dit », confie aujourd’hui Manara.

Pratt l’a « dit », pourtant. C’était cinq ans avant sa disparition, dans un livre d’entretiens avec le journaliste Dominique Petitfaux, De l’autre côté de Corto (Casterman, 1990). Il avait même cité Manara parmi ses potentiels successeurs : « Si, après ma mort, Corto Maltese peut rapporter de l’argent à ma famille, à des gens que j’aime bien, pourquoi pas ? Je ne suis pas choqué à l’idée que quelqu’un comme Vianello [son assistant] ou Manara, par exemple, puisse un jour [le] reprendre. » Pratt avait-il changé d’avis à l’approche de la mort ? Ou la maladie et les médicaments l’empêchaient-ils d’avoir un avis pertinent sur la question, comme le pense Patrizia Zanotti ?

Celle-ci a finalement sollicité Juan Diaz Canales, le créateur de Blacksad (Dargaud), un polar animalier au succès critique et public indéniable. Canales se trouve être un fan absolu de Pratt : « Si je suis dans ce métier, c’est grâce à Corto », dit-il. Reprenant à son compte l’idée lancée à Lucques, le scénariste espagnol va alors rédiger une histoire se déroulant sous le cercle arctique sur fond de luttes nationales et de première guerre mondiale. Il va aussi suggérer le nom de Ruben Pellejero, un dessinateur aguerri (Les Aventures de Dieter Lumpen, Le Silence de Malka) dont le style a été influencé, à ses débuts, par celui de Pratt. Difficile de trouver casting plus adéquat.

Pellejero, sur qui repose la pression la plus importante dans la mesure où son graphisme va être immédiatement comparé à celui du maître, se voit accorder une totale liberté de création. « Pratt disait souvent qu’il avait pu créer Corto quand un éditeur lui avait donné carte blanche, souligne Patrizia Zanotti. Il aurait été impensable de faire autrement, d’autant plus que nous ne voulions pas de quelqu’un qui imite son trait. »

Un obstacle de taille va toutefois surgir sur la table à dessin de ­Pellejero : quel visage donner à Corto, dont la face n’a fait que changer au fil de l’évolution stylistique de Pratt ? Une relecture de la collection le fera pencher pour la deuxième époque des aventures de Corto (Les Celtiques, Les Ethiopiques). Toutefois, le visage du héros est caché par une ombre sur la couverture de l’album. « Je ne voulais pas que les lecteurs disent : “Oh, il ne ressemble pas à Corto” avant d’ouvrir le livre », précise Pellejero. Les atmosphères, elles, seront puisées du côté de la première période (La Ballade…, Sous le signe du Capricorne). « La grande force de Pratt était de dessiner de manière très simple des choses très difficiles à dessiner », formule Pellejero, qui a travaillé volontairement vite sur cet album – à raison de 8 à 10 planches par mois – et au feutre, comme le faisait Pratt, afin de retrouver la « spontanéité du trait » de son aîné. Un lent travail de copie aurait, à l’inverse, dénaturé le ­projet.

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Les amateurs auront aussi remarqué la présence du nom du héros en caractères calligraphiés au-dessus du titre (ce qui n’était pas le cas avant), ainsi que la liste des précédentes histoires sur la quatrième de couverture. « Nous avons repensé Corto à la manière d’une série », explique Benoît Mouchart, chez Casterman (qui a financé la réalisation de l’album).

L’idée, en toile de fond, est évidemment de relancer un fonds dont les ventes ont chuté en raison de l’absence de nouveautés. « Corto est un personnage plus connu que lu », reconnaît Patrizia Zanotti. Environ 30 000 copies des albums existants sont vendues chaque année en France. Ce nouvel ­album a été tiré, à lui seul, à dix fois plus d’exemplaires.

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