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«Gaston Lagaffe au cinéma, je suis sceptique»

Le spécialiste Didier Pasamonik, l'adaptation de Gaston au cinéma suscite un vrai scepticisme dans le milieu de la BD. JACQUES COLLET/AFP

Le personnage créé par Franquin va être adapté sur grand écran. L'historien et spécialiste de bande dessinée Didier Pasamonik estime que l'affaire est loin d'être aisée.

L'annonce de l'adaptation de Gaston Lagaffe au cinéma a créé de nombreux remous dans le landerneau de la BD. Pour l'historien et spécialiste de bande dessinée Didier Pasamonik, le passage au cinéma de Gaston Lagaffe suscite même un vrai scepticisme: «Gaston, c'est véritablement une critique du tertiaire, de la vie de bureau telle qu'on la concevait dans les années 1960 et le tertiaire signifiait quelque chose à cette époque. Aujourd'hui, il n'existe pour ainsi dire plus. La réalité du bureau est de plus en plus liée à Internet.»

Et d'ajouter: «Avec le cinéma, on va s'éloigner de l'univers de Gaston. Le simple fait de transposer sur grand écran un personnage qui vit avec une mouette et un chat dans un environnement de bureau, risque de faire bizarre» déclare-t-il au Figaro.

Didier Pasamonik revient également sur l'univers créé par Franquin: «Celui-ci n'est pas très épais, pas très creusé chez Gaston. Ce qui est développé dans la série est la caractérisation des personnages. Ils sont forts: de Mesmaeker, par exemple, illustre l'homme d'affaires qui veut mettre son grappin sur une petite boîte pour la faire fructifier, il est transposable.»

Néanmoins l'expert tempère: «Cela dit, le bureau de Gaston était déjà une fiction en soi. Le local des éditions Dupuis n'était pas comme ça. C'était une pure convention de ce qu'on imaginait être une rédaction d'un journal pour enfants dans les années 1960. C'est le secret d'une BD réussie. Celle qui fait un contrat avec le lecteur et qui s'en sort malgré les absurdités intrinsèques aux conventions proposées. À l'instar de Spirou en costume de groom alors qu'il n'est pas groom. Si le réalisateur a bien compris cela (Pierre-François Martin-Laval, le réalisateur de Les Profs, NDLR), il peut y arriver.»

La mécanique du gag chez Gaston Lagaffe est avant tout philosophique

Au doute s'entremêle la curiosité: «Je suis à la fois sceptique et intrigué à vrai dire, de voir comment le réalisateur peut s'en sortir. Je le répète, ce ne sera pas le Gaston Lagaffe qu'on connaît, c'est impossible. Mais, en même temps Spielberg avec Tintin a montré qu'aujourd'hui on pouvait aller très loin dans les transformations fantasmagoriques des univers d'origine.»

Un autre paramètre préoccupe Didier Pasamonik, celui de la forme: «L'essentiel de l'univers de Gaston est fondé sur une unité qu'est la page où l'on est dans un petit théâtre. Ce sont des sketchs. Est-ce que cette adaptation va aboutir à un film à sketchs? Si c'est la cas, tout est à craindre». Ainsi que la transposition sur grand écran de la mécanique humoristique irrésistible de Franquin: «Il y a une rythmique géniale dans Gaston, une finesse du gag qui a su harmoniser le côté énervé du bureau et celui plus mou de Gaston. C'est de la dentelle. Ce sont des gags en une page qui relèvent davantage de la poésie que de la narration. Est-ce que cela peut tenir dans un film de 90 minutes? Je suis là aussi curieux de voir comment le scénariste va se débrouiller», ajoute-t-il.

« La science a apporté un monde d'hyper-consommation dans lequel on perd un peu son âme, où tout va trop vite. Gaston est une réponse à cette image de la société. »

Didier Pasamonik

L'expert démontre cependant dans son raisonnement une dimension sociologique du personnage qui pourrait aisément se transposer à notre époque: «Dans les années 1950, il y a une foi en l'avenir. On en a fini avec la guerre et on pense que la technologie va résoudre plein de choses. À partir des années 1960, on est dans la génération du beauf, du mou de l'apathique devant la modernité. Finalement la science a apporté un monde d'hyper-consommation dans lequel on perd un peu son âme, où tout va trop vite. Gaston est une réponse à cette image de la société, en préférant prendre son temps et expérimenter de drôles d'inventions.»

Et à Didier Pasamonik de conseiller au réalisateur, en guise de conclusion: «La mécanique du gag chez Gaston Lagaffe est avant tout philosophique. Cette série recèle une réflexion profonde sur la nature du travail et de l'individu dans la machine sociale. Si le réalisateur prend en compte cette idée, et si ses gags sont une démonstration par l'absurde de notre société contemporaine telle qu'elle est conçue, il pourra construire quelque chose». À bon entendeur...

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