Dans les coursives blindées du Comic-Con, la grand-messe de la culture pop qui se tient chaque année à San Diego, Olivier Coipel, jeune dessinateur, fringant malgré les heures de voyage, enchaîne les dédicaces et les autographes dans l'allée des artistes. Dans ce monde de comic books où la bande dessinée franco-belge est quasi invisible, ils sont désormais quelques Français, comme lui, à faire régulièrement le déplacement.
My tailor is French
Formé à l'école d'animation des Gobelins, à Paris, Olivier Coipel a d'abord dessiné pour l'éditeur DC Comics. C'est en débarquant à Avengers, de l'éditeur concurrent Marvel, qu'il s'est fait remarquer dans ce petit milieu. Il travaille alors sur les projets phares de la maison, comme House of M, Spider-Man, X-Men ou encore Avengers Vs X-Men.
Sa marque, il la laisse en dessinant la nouvelle armure que porte Thor, qui a été, depuis, intégrée dans le long-métrage. Il est d'ailleurs remercié au générique de fin. « Ça fait plaisir de voir tes idées reprises sur grand écran », confie-t-il tout sourire, même s'il ajoute ne pas avoir été payé pour ça. « Franchement, je m'en fiche. Ce qui compte pour moi, c'est de dessiner. » Le style d'Olivier Coipel est fin, ses personnages posent avec allure, et sa manière de composer l'anatomie traduit les exigeantes études des Gobelins.
Aujourd'hui très demandé, il partage sa vie entre la France, l'Amérique du Sud et les Etats-Unis, alternant les grands projets et les couvertures. Un détail qui ne trompe pas : chaque année, la liste d'attente des dédicaces, toutes monnayées aux USA, s'allonge. S'il existe une « French touch » moderne dans les comics, il en est le fer de lance. Mais il ne fut pas le premier...
Le précédent Mœbius
Retour en 1988. Jean Giraud, alias Mœbius, part vivre à Los Angeles. Le dessinateur français est déjà connu pour avoir participé à des films majeurs tels qu'Alien, Tron et Willow. Il devient le premier Français de renom à collaborer avec Marvel en s'associant avec Stan Lee dans une aventure restée culte, Silver Surfer : Parable. L'œuvre, volontiers contemplative et philosophique, impose le dessinateur comme un grand artiste exigeant.
Son style racé, fait de grands espaces métaphoriques et de minimalisme, marque son époque, lui qui n'avait jamais dessiné de comics avant cela. Il remporte d'ailleurs un prestigieux Eisner Award, récompense de l'industrie des comics, à une époque où généralement seuls des Américains l'obtiennent. Il s'installe alors aux Etats-Unis, le temps de travailler sur quelques projets de film. Finalement, son incursion dans cet univers se limitera à cette histoire et à quelques pin-up à la Marvel. Il reste toutefois un précurseur de l'ouverture aux grands artistes européens.
La révolution du numérique
A l'époque, le travail à distance est compliqué, on s'envoie des planches originales par courrier. Internet a donc représenté une aubaine pour toute une génération de dessinateurs qui ont pu se faire remarquer des éditeurs et entièrement travailler en format numérique. C'est le cas de Stéphanie Hans, talentueuse dessinatrice française qui vit à Berlin. Sa spécialité, les couvertures, qu'elle trouve volontiers plus valorisantes pour son travail.
Après quelques années à illustrer des couvertures de roman jeunesse en France, elle transmet son dossier au recruteur international de Marvel. Elle reste deux années sans nouvelle, avant d'être soudain contactée en urgence. Il faut dessiner une couverture : un numéro de Firestar, devenu X-Men entre temps. En cinq jours, pas un de plus.
Comme beaucoup d'artistes féminines, elle semble profiter de l'engouement pour les super-héroïnes. « Il y a toujours eu des lectrices de comics, aujourd'hui elles ont une voix qui peut se faire entendre et les éditeurs veulent aussi parler à ce lectorat et le développer », explique-t-elle. Et quand on lui demande son avis sur Thor, qui est devenu une femme, elle répond avec justesse et humour que « le dieu du tonnerre a déjà été transformé en grenouille, je ne vois pourquoi une femme serait plus choquant ».
Depuis, elle travaille avec les autres grands éditeurs américains tels que Dark Horse ou IDW. Volontiers grandiloquent, son style trouve alors une place méritée dans la série de Marvel Journey Into Mystery, dont elle signe, là encore, les couvertures. Loki, dieu maléfique réincarné en enfant, y revit une initiation de la vie. Un comics audacieux sur le déterminisme raconté comme une fable asgardienne.
Les « bus de dessinateurs espagnols »
Il lui est arrivé, plus rarement, de s'occuper de l'intérieur de comics. La règle, quoi qu'il arrive, ce sont les délais.
« Les délais sont super courts, en moyenne une semaine, version d'ébauche comprise. Le délai du rendu d'une couverture, c'est le jour de l'impression. Aucune marge de de manœuvre. La difficulté, c'est d'être fiable et rapide. »
Les artistes français gagnent en popularité sur le marché américain : Paul Renaud, Stéphane Roux... « Avant, quand on voyait les bus entiers de dessinateurs espagnols, on se faisait tout petit lors des conventions. Ils sont toujours là, mais maintenant, ça va, on se sent moins seul », témoigne, hilare, un dessinateur français. Certains arrivent même à jouer sur les deux prestigieux tableaux, Marvel et DC.
L'artiste Bengal a ainsi enchaîné un numéro spécial d'Avengers et de Batgirl, un épisode entièrement muet, qui lui a valu de nombreux éloges. Marguerite Sauvage a également fait sensation avec une histoire courte dans laquelle elle a relooké avec brio Wonder Woman, avant de passer aux histoires de Thor qui, décidément, fait bon ménage avec les Européens.
La jeune garde du « turbomédia »
Il y a aussi la jeune garde, qui profite à fond des nouvelles technologies. Geoffo et Mast ont par exemple monté les échelons jusqu'à atteindre ce qui n'était alors qu'une niche : le comics numérique. Eux, ils disent « turbomédia » un marché en pleine expansion grâce à l'essort des tablettes.
Il s'agit de concevoir la BD non plus page après page, mais en termes d'écrans qui se suivent. Il faut alors jouer avec les variations de plans, les zooms, les recadrages et les changements de focale pour donner une impression de dynamisme.
« On avait commencé par notre projet “Pax Arena”, qu'on a publié sur Internet après avoir rencontré le scénariste culte Mark Waid. Soit on lit directement, soit on télécharge. Mais maintenant, le site où on le publie, Thrillbent, est payant. Le cycle de vie des bouquins est vraiment très différent. On a parfois la sensation d'être dans un bac à sable à part, tout reste à faire. »
De la franco-belge à l'américaine
Sur leur page Facebook, ils posent avec Stan Lee et les autres éditeurs américains, tout sourire, jamais blasés, de vrais « fanboys » passés pro. L'un adorait la BD, a étudié les arts appliqués à Paris, l'autre a roulé sa bosse après ses études. Il a notamment travaillé pour la hotline de SFR, organisé un Salon consacré aux comics à Lille et a même participé à la création de jeux vidéo. « C'était Adibou et Vingt-Quatre heures chrono, le jeu vidéo sur PlayStation 2. Je n'ai pas vu ce que ça donnait, mais ça ne devait pas être génial », se souvient-il avec malice.
Après avoir dessiné plusieurs « infinite comics », le dynamique duo a storyboardé plusieurs numéros destinés à sortir en même temps que le film Avengers: l'ère d'Ultron. La prochaine étape logique serait de passer au numéro mensuel. Et ce n'est pas l'envie qui manque, mais le temps. « Un storyboard prend une à deux semaines pour soixante écrans, tandis qu'un comics traditionnel nécessite un mois entier pour vingt-quatre pages », précise Geoffo.
Dans le monde de la BD franco-belge, de plus en plus en crise, le rêve américain de travailler sur les aventures des Avengers et des X-Men est devenu possible, avec à la clé des chèques en dollars. « Ah non, ça a changé. Maintenant, ils font tout par virement », précisent en chœur Geoffo et Mast. C'est un peu dommage : auparavant, Marvel payait en chèques estampillés d'une tête de Spider-Man. Au lieu de l'encaisser, les artistes, trop fiers de cette première paye, se faisaient un plaisir de l'encadrer.